La correspondance de Marat

206 LA CORRESPONDANCE DE MARAT

destinée à rompre tous les ressorts du despotisme, en attendant que l'autorité soit fondée sur la justice; à arracher à Foppression ses tristes victimes, en attendant qu’elle fasse triompher la liberté : c’est l'usage que j'en ai fait jusqu'à ce jour, et j'ose croire que je n’ai pas perdu mon temps. [l est peu arrivé de grands événements, depuis la “prise de la Bastille, que je n’aie préparés, et combien n’en ai-je pas provoqués moi seul? Je n’en ferai point l'énumération, crainte d’être accusé de jactance : mais n’eussé-je produit d'autre bien que de faire ouvrir les cachots de ‘ la Conciergerie aux onze infortunés qui y étaient détenus pour la brûle des barrières; n’eussé-je qu'excité cette sainte fermentation qui força les pères conscrits de déclarer irrecherchables les auteurs de la brûle des barrières, comme ceux de la prise de la Bastille; avoir annulé les 860 décrets de prise de corps déjà lancés, et arraché à la mort cent mille patriotes que le despotisme aurait immolés sous ce prétexte par le glaive du bourreau, sont de trop beaux trophées pour ne pas bénir la liberté de la presse: Nous ne sommes pas libres encoré, j'en conviens, et nous ne pouvons pas espérer de l’être de sitôt, parce qu’une nation qui Secoue le joug a longtemps à lutter contre les suppôts de l’ancien régime, lorsqu'elle n'a pas pris d'emblée le sage parti d'en exterminer les plus coupables, et de contenir les autres par la terreur. Mais avec une conduite aussi molle que la nôtre, à quoi en serions-nous réduits sans la liberté de la presse ? Sans ces effervescences momentanées qui glacent d’effroi nos läches ennemis, quelles lois de sang n’eussent pas suivi la formation de la garde nationale, dès que le perfide courtisan qui la commande l'eût asservie ? Quel massacre des bons citoyens, au moindre

1. En faisant donner l’assaut à la maison du président de la cour des aides, par la compagnie des grenadiers de a Courtille, pour ravoir un de leurs camarades qui était au nombre des prisonniers, (Note de Marat)