La correspondance de Marat
234 LA CORRESPONDANCE DE MARAT
ment justifié, de même que les prédictions qui le couronnaient; rappelez-vous aussi les conseils que vous donnait un anonyme, relativement à la fête populaire du 15 de ce mois : vous devez aujourd'hui en sentir toute la justesse. Je n’ignore pas combien les ennemis de la chose publique tireront d'avantage en voyant les vrais patriotes censurer eux-mêmes l’administration d’un homme qu'ils ont nommé avec enthousiasme à la première magistrature populaire ; mais je n'ai jamais partagé cet engouement, quoique je sentisse qu'on pouvait faire une infinité de choix moins désirables, et que j'aie donné de justes éloges à quelques beaux traits de votre conduite publique. Je n'ignore pas non plus que presque tous les citoyens amis de leurrepos, tous les modérés, tous les égoïstes, tous les endormeurs soudoyés et non soudoyés, s’élèveront contre la sévérité de mes principes, en s'écriant qu’il faut bien passer quelque chose aux hommes en place. Mais je ne sais composer ni avec les principes de la justice et de la liberté, ni avecla lächeté ou l’infidélité des fonctionnaires publics, ni avec les malversations des agents de l’autorité, ni avec les dangers qui menaçent le salut public. Ce sont ces sots ménagements, cette lâche condescendance, qui ont perdu la liberté. Si dès le premier faux pas on avait arrêté le législateur et les dépositaires de l’autorité, nous n'aurions pas eu cette multitude de funestes décrets qui ont anéanti les droits du peuple et des citoyens pour rétablir le despotisme ; nous n’aurions pas été les victimes des'attentats de cette foule de fonctionnaires publics qui ont traitreusement sacrifié leurs concitoyens à la cour. Voyez, je vous prie, à quoi doivent mener vos timides égards. En vivant dans l'intimité avec Rœderer et Brissot, intrigants décriés, tous deux vendus à la cour, tous deux reconnus pour d’infidèles mandataires, pour des iraîtres à la nation, vous serez soupçonné de partager leur infamie, le peuple perdra toute confiance ‘en vous, le bien même que vous voudrez faire deviendra suspect, et vous vous serez Ôté tout moyen de servir la