"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)
« LA GUZLA » DANS LES PAYS SLAVES.
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Vers la même époque, un compatriote et ami de Chodzko, bien plus célèbre poète celui-là, Adam Mickiewicz, se fit également l'admirateur de la Guzla. Il s’efforça de rendre en polonais le Morlaque à Venise, cette peinture délicate des mélancolies d’un Slave attiré à la grande ville, qui regrette son pays natal « comme une fourmi jetée par le vent au milieu d'un vaste étang ». M. Louis Leger qui, le premier en France, a parlé de celte traduction, nous en explique ingénieusement l'origine. « Le Byron catholique de la Pologne » se trouvait alors loin de sa chère Lithuanie, exilé dans une Venise du Nord, à Moscou (1823-1828), et il « devait éprouver une sorte d’amère volupté à mettre en vers des stances qui répondaient si bien à l'état de son âme 1 ». Pendant toute sa vie de Chrétien errant, Mickiewicz fut tourmenté par le mal du pays ; son plus beau poème, Messire Thaddée, débute par cette touchante apostrophe : Lithuanie, ô ma patrie, tu es comme la santé. Combien il faut l'apprécier, celui-là seul le sait qui l’a perdue. Aujourd’hui, je vois et je décris ta beauté dans tout son charme, car je soupire après toi 2 . Dans ce Livre du pèlerin polonais dont le style biblique a inspiré les Paroles d’un croyant, le poète ne regrette pas moins le sol natal qu’il ne plaint sa nation malheureuse. La nostalgie du jeune Morlaque de Mérimée devait donc tout naturellement lui plaire; il n’est pas étonnant qu’il ait voulu l’exprimer en vers polonais. Observons toutefois que cette traduction n’est pas
1 Idem, p, 239. Piotr Chmielowski, Adam Mickiewicz, Varsovie, 1886, 1.1, p. 435. 2 Adam Mickiewicz, Œuvres poétiques, trad. par Çhr. Ostrowski, Paris, 1859, t. 11. Louis Leger, Russes et Slaves, deuxième série, Paris, 1896.