La Serbie
Dimanche 25 Novembre 1917 - N° 47
chienne contre l'Italie, on inonda la presse ententiste et neutre de nouvelles « sur la prochaine régénération de l’Autriche », qu’on disait « pacifiste », s’orientant vers une politique nouvelle, « démocratique », « fédérative », « antimilitariste » et hostile à l’Allemagne. n fera donc bien de surveiller les alliés de l'Allemagne et deine pas se laisser surprendre par la Bulgarie comme on se laissa surprendre par l'offensive autrichienne.
.. I nous semble que le moment où M.
Vénizelos et M. Pachitch se trouvent à Paris est le plus favorable aux Alliés pour discuter à fond les questions balkaniques. Le comité interallié devra donc arrêter sa ligne de conduite en prenant des mesures qui garantiront l’Entente de nouvelles et fàcheuses surprises. d
M. D. M.
Les revers italiens et les Slaves
Le « Hrvatski Dnevnik » du 31 octobre publie une correspondance de Vienne, donnant des détails peu connus sur la façon dont les députés slaves ont accueilli les nouvelles du front italien.
« Beaucoup de députés allemands, dit ce journal, étaient près de la tribune présidentielle ; la plupart des députés slaves étaient soit dans les couloirs soit dans les salons particuliers des clubs.
Les Allemands ont interrompu à deux ou
trois reprises le président par des acclamations en l'honneur de l’armée, tout en lançant des regards provocateurs sur les bancs des députés tchèques, où il n'y en avait que quelques-uns. Les figures imposantes de Zahradnik et d'Udrzal avaient déjà disparu de la salle, non .pas démonstrativement, mais parce qu'ils n'étaient pas sûrs que l'offensive contre l'Italie (censuré)... Deux ou trois Tchèques demeurés à l’intérieur n’ont ni applaudi ni poussé des hourras.
Quelques Polonais ont participé aux ovations en l'honneur de l’armée. Un Roumain au milieu de la salle, regardait constamment à gauche et à droite pour voir comment les autres se comportaient.
La provocation qui se lisait dans les yeux des Allemands, faisait une impression détestable.. Si les Allemands, conclut la feuille croate, croient que par suite de la nouvelle offensive nous nous trouvons plus loin de notre politique que les Italiens de Vienne, ils se trompent énormément: les offensives ne durent pas longtemps, comme nous l’avons vu jusqu’à présent, tandis que notre idée vivra jusqu’à sa complète réalisation. »
« L'Obzor » de Zagreb publie dans le numéro du 13 novembre l'information suivante :
«Le député slovène de Trieste, Rybar, a déclaré à certains journalistes que les événements qui se déroulent sur le front italien ne peuvent avoir aucune influence sur l'attitude d'opposition du club yougoslave envers le gouvernement autrichien.
« Je dois déclarer ouvertement, a dit Rybar, qu'aucun Slave du littoral ne revendiqueetne désire des terres italiennes. Bien plus nous protestons avec la plus grande fermeté contre de pareilles intentions. »
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Les Yougoslaves contre l'Autriche-Hongrie
__ trois discours des députés slovènes au parlement autrichien —
Au cours de la discussion budgétaire, plusieurs députés slovènes ont prononcé des discours d’une haute importance.
* Le 98 septembre, le député Lovro Pogaënik a prononcé le discours suivant. Il débute en slovène:
« Je sais très bien que je parle dans un moment historique où il s’agit pour notre peuple d’être ou de ne pas être. La guerre a montré qu'il n’y a pas de peuple plus héroïque et mieux doué que le peuple des Croates, des Slovènes et des Serbes. Fautil ajouter qu'en même temps il n’y a pas de peuple qui ait plus souffert, qui ait été plus gravement offensé, qui soit aussi morcelé et qui ait autant d’ennemis que le nôtre. Néanmoins les forces endormies jüsqu’au début de la guerre se sont éveillées et personne ne pourra plus les détruire. Nous aspirons depuis toujours à la liberté; nous voulons travailler et lutter pour elle car « mon peuple doit être libre et maître dans son propre pays. »
« Comment le chevalier Seidler se propose-t-il d’assainir cette situation anormale ? Il veut maintenir les provinces et les partager en cercles: C’est donc la tendance centraliste germanique la plus nette : Divide et impera! Ce n’est pas dans la séparation, mais dans l'union que réside le salut de notre peuple. Si la maison tombe en ruine, aucune réparation ne peut la sauver. À bas une telle pourriture! À bas les frontières artificielles des pays! À bas le dualisme des peuples privilégiés et des peuples opprimés ! À bas les centralistes bureaucrates ! Il faut unir ce que la nature a uni.
« Le gouverneur de la Carniole, le comte Attems, demande secrètement à nos hommes s'ils sont partisans ou non de notre décläration du 30 mai. Je lui dis cependant : Celui des Slovènes qui se dirait contre notre liberté serait un menteur ou un valet. Nous savons que tout le peuple est avec nous ; tous les intellectuels et tous les soldats ont la même opinion à cet égard. Nous voulons être un peuple libre avec nos frères et nous ne voulons plus être des esclaves. »
Le député Ravnihar a pris la parole au cours de la discussion budgétaire du 2 octobre. Il a commencé à parler en slovène puis il a continué en allemand :
« Nous vivons dans.un des moments: plus décisifs de notre vie nationale. C’est pour nous une question de vie ou de mort (to be or not to be). Ne laissons aucune équivoque sur ce que nous voulons. Ce que nous désirons de toutes nos forces physiques et morales, nous devons essayer de le réaliser sans tenir compte des sacrifices, car ces sacrifices seront le couronnement de notre juste cause. »
« Il nous est absolument égal de savoir quel est celui qui a dicté au président du Conseil les déclarations politiques qu’il vient de faire. Ce qui nous importe, c’est qu’on a refusé notre déclaration étatique à laquelle nous avions mûrement réfléchi, et que ce refus vient du chef du gouvernement autrichien, qu’il s'appelle Stürgkh, Clam ou Seidier. Non seulement notre déclaration est repoussée, mais elle est aussi
raillée et mésestimée. Nous constatons le fait que le chef du gouvernement autrichien a agi, d'accord avec le chef du gouvernement hongrois et avec l’union nationale allemande: Nous osons donc affirmer que tous les facteurs compétents de la monarchie auxquels nous nous sommes adressés ont refusé à'cette heure décisive, notre magna carta, comme étant irréalisable et que de ce côté nous n'avons rien à attendre pour le changement de notre triste sort. Les petites miettes de soi-disant autonomie que veulent bien accorder par miséricorde — non pas peutêtre le gouvernement — mais les députés alpins de l’union nationale allemande, ne signifient rien d'autre que la pétrification de l’état actuel, la légalisation de l’illégalité politique et la servitude de notre peuple. Je vous remercie d'avance, d’une autonomie de ce genre.
« Nous vous avons offert l'occasion de guérir cet organisme malade — l'Autriche — par la prescription de l'égalité en droits de tous ses peuples. Vous repoussez ce traitement. Très bien, mais vous ne pourrez plus alors nous empêcher de penser dorénavant avant tout à notre propre salut. Sacro egoismo. Nous ne pouvons pas accepter cette raison d'Etat qui perpétue le principe de notre servitude et de la subordination de notre peuple à la domination des peuples étrangers, cette raison d'Etat qui refuse à notre peuple un territoire, qui n'appartient qu'à nous et sur lequel nous pourrons nous relever politiquement, économiquement et intellectuellement.
« Pendant la session du mois de juin nous avons voté le budget provisoire, mais il y a une limite à tout. Croire que nous ferons maintenant ce que nous avons fait alors, équivaudrait à supposer que nous baiserons la main de celui qui nous frappe.
« Nous avons écouté la déclaration du président du Conseil silencieusement et avec sang-froid. Nous n’avons pas sursauté lors même que le président du Conseil proclamait voir dans nos déclarations certaines idéologies et qu’il établissaitunrapport entre nous et l’Entente. Nous avons gardé notre sang-froid. Je dois ajouter cependant, sans vouloir nous justifier, que notre programme existe depuis le jour où notre peuple s’est mis à vivre politiquement; que ce programme est vieux, profondément enraciné dans notre peuple avant même que l’'Entente n'ait été constituée.
« On nie aux autres peuples de l’Autriche le droit de disposer d'eux-mêmes, tandis qu’on permet l'existence de l’autonomie en faveur d’un seul peuple, le peuple allemand. Celui-ci, non seulement dispose de son sort, mais encore il a usurpé le droit de disposer du sort de tous les autres peuples en Autriche. Nous avons vu ce que cela signifiait dans le passé ; nous le voyons aussi dans ce présent sanglant. À la tête de cette politique erronée se trouve le gouvernement autrichien dont toute la force est basée sur la bureaucratie allemande.
« C’est à cette bureaucratie protectrice de tous les gouvernements autrichiens, qu’il
faut’ attribuer toutes les persécutions effroyables et cruelles commises pendant cette guerre. C’est elle qui est responsable de tous les internements, des marques spéciales de suspicion politique avec toutes les conséquences engendrées par celles-ci. Elle a institué sur le front et derrière lui des tribunaux sanglants. A Ljoubliana, on a créé pendant ce temps un nouveau cimetière, que nous appelons du nom d’un bureaucrate en uniforme de cette espèce. (Ecoutez ! Ecoutez!)
« Une masse d’assassinats en Bosnie, en Serbie et en Galicie ont été commis par cette bureaucratie. C’est avec cet esprit criminel qu’on gouverne cet Etat. Nous avons refusé d’entrer dans un cabinet parlementaire, parce que nous n’avons pas voulu jouer un rôle dans la comédie prépatée pour l’étranger.
(La fin au prochain numéro.)
Le discours de Lloyd Ceorge
Au déjeûner offert le 12 novembre par le président du Conseil français en l'honneur de Lloyd George, le premier ministre du Royaume-Uni a prononcé un remarquable discours sur la situation politique. Nous reproduisons ici le passage qui se rapporte aux Balkans et à la Serbie, et que nous commentons dans un article spécial :
« Un trait de cette guerre, a dit M. Lloyd George, lui donne un caractère unique parmi les guerres innombrables de lhistoire : c’est un siège, où des nations entières sont assiégées. Les Alliés font le blocus de deux grands empires. Il aurait mieux valu pour nous comprendre toujours et pleinement le sens de ce fait. Dans un siège, il faut non seulement que chaque partie des lignes de circonvallation soit assez forte pour résister à l'attaque la plus puissante dont l’assiégé est capable; mais il faut encore que les assiégeants soient prêts à frapper là où l'ennemi est le plus faible, en quelque point que ce soit. L’avons-nous fait? Regardez les faits.
L'ennemi était coupé par les flottes alliées de tous les riches pays au-delà des mers d’où il avait jusqu'alors tiré des quantités énormes de vivres et de matières premières. Du côté de l’est il était bloqué par la Russie ; du côté de l’ouest, par les armées de France, de la Grande-Bretagne et de l'Italie. Mais le sud, le sud si important avec sa porte ouverte sur l'Orient, était laissé à la garde d’un petit pays, avec une population deux fois moins nombreuse que celle de la Belgique, des armées épuisées par les luttes de trois guerres successives, et derrière lui, deux rois perfides, attendant le moment de le poignarder quand il aurait à se défendre contre un ennemi plus puissant.
Quels furent les résultats de cette faute incroyable ? Qu’aurait pu prévoir un homme dont l'esprit se fût consacré à l'examen du grand champ de bataille dans son ensemble et non dans un seul de ses secteurs ? Il aurait prévu juste ce qui est arrivé. Tandis que de toutes nos forces nous martelions la barrière impénétrable de l'Occident, les empires centraux, convaincus que nous ne pourrions pas la percer, se jetèrent de tout leur poids sur ce petit pays, brisèrent sa
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FEUILLETON
COMTE IVO VOINOVITCH
— À propos de son récent jubilé —
Pour tous les Serbes et Croates, il est un lieu sacré entre tous où le pélerin d'art et celui qui a le culte du passé se doit d’aller faire ses dévotions. C’est la vieille cité de Raguse, gardienne de nos traditions, foyer de notre ancienne culture, berceau de nos plus grands poètes, écrivains et aftistes. Gondoulitch, notre plus grand poète des temps anciens (1588), Roger Boscovitch (1711), le plus grand savant, y virent le jour. Et jusqu’à ces derniers temps la vieille cité ne cessa d’engendrer des génies. Le sculpteur Mestrovitch, une des gloires artistiques contemporaines, est aussi d’origine ragusaine, de même que le Comte Ivo Voïnovitch, le meilleur auteur dramatique serbo-croate, dont nous allons essayer d'esquisser le portrait.
Descendant d’une vieille famille noble, Voïnovitch fut élevé dans le culte de la tradition nationale. Bien que toute sa jeunesse ait été consacrée aux études de la jurisprudence, il débuta très tôt dans les lettres en composant des vers et des critiques littéraires, pour la revue croate « La Couronne » (Vienac). Maïs c’est seulement au contact des vieilles pierres de sa cité natale, où il rentra après une longue absence, que son génie se transforma et s’épanouit complètement. C’est Jà qu'il composa ses meilleures œuvres dramatiques, « L’Equinoxe » (1895), « La Trilogie de Raguse » (1902), ainsi que la « La Dame au Tournesol », « La Mort de la Mère Yougovitch » et « La Résurrection de Lazare ». Cette dernière traduite en français. Ce sont surtout ses drames qui lui valurent le plus grand succès. C’est là que son génie original a trouvé le mieux son expression. On découvre en lui un tempérament de peintre, de sculpteur en même temps que de poète. Nous essayerons de présenter quelques-unes de ses œuvres au public étranger en procédant par ordre chronologique.
Son drame « Equinoxe », dont le sujet est emprunté à la vie quotidienne de Raguse, est un vrai tableau de mœurs, de caractères-et de passions. C’est le drame de la misère sociale des Dalmates émigrés en Amérique. Son intrigue est simple, mais le dénouement en est d’un effet poignant. Le sujet de la « Trilogie de Raguse » est encore plus intéressant. Ce sont en effet trois drames d’un acte chacun, qui font revivre les trois dernières phases de la grande cité en décadence. La peinture qu'il fait de la vie. sociale de Raguse est saisissante. La vieille cité aristocratique subit une éclipse au moment où l’armée de Napoléon y fait son entrée.
Le premier acte «Allons enfants » représente le moment où la vieille république — sa noblesse désunie — sombre devant l'esprit nouveau répandu par la Révolution française. Dans le second acte, « Le Crépuscule », nous assistons à la tragédie de Raguse, laquelle ne peut pas se retrouver dans la vie moderne. Enfin la troisième partie de la Trilogie « Sur la terrasse », est une satire douloureuse et mordante de la décadence ragusaine.
Dans le drame « La Mort de la Mère Vougovitch », le poète sculpta les figures principales de l’épopée nationale serbe, faisant revivre cette grande époque des souvenirs impérissables. « La Dame au Tournesol » est une pièce éblouissante d'images, aux dialogues spirituels et d’un tour unique. Le dernier drame de Voïnovitch, « La Résurrection de Lazare », écrit sous l'impression de la guerre balkanique, est traduit en français. C’est un épisode de guerre vibrant et émouvant qui montre l'enthousiasme des autres parties de la nation yougoslave à la nouvelle des victoires et des triomphes des armées serbes.
Voïnovitch est le créateur du drame moderne serbo-croate. C’est son mérite principal. Mais ce n’est pas le seul. De tous nos écrivains il possède au plus haut degré cette rare faculté qu'on appelle la transposition dans l’art, et qui consiste à faire éprouver aux spectateurs plusieurs sensations à la fois : celles des couleurs autant que celles du son el du rythme; à peindre les images les plus variées et à sculpter les figures les plus intéressantes du passé et du présent. Il est le génie le plus fécond et le plus représentatif de l’art dramatique serbo-croate:
On discerne facilement que l’idée de la patrie inspire toutes ses œuvres, car il avait pour sa nation et son glorieux passé un culte, une sorte de vénération mystique. Il poussa parfois ses sentiments patriotiques jusqu’à l’exaltation. Presque tous ses drames ont la saveur de ia terre natale à cause de sa langue pleine de couleur et d'harmonie. Un des traits distinctifs du poète est aussi de s'attacher au passé et de vouer aux morts une tendresse touchante. il les mêle aux vivants et c’est un des charmes de ses œuvres. Dans le « Crépuscule », par exemple, les ombres des aïeux planent comme des nuées sur les acteurs du drame. La scène simple, d’un style pur, d’une simplicité et d'une grâce exquise, n’est pas loin de la beauté antique. Il n’y a guère que les auteurs anciens pour donner une telle impression.
Que son talent ait eu des défauts et des lacunes, j'en conviens. Voïnovitch associe souvent dans ses drames l'épopée au lyrisme. Il n'échappe pas toujours à l’emphase, et son style n’est pas exempt de déclamation ; mais son goût littéraire est sûr et ses connaissances historiques approfondies.
Voïnovitch eut le sort de cet autre grand écrivain bien connu que
fut l’immortel Silvio Pellico, I! fut arrêté au début de la guerre et sans :
autre forme de procès (sans même avoir été interrogé) traîné comme otage de ville en ville et de prison en prison. Il perdit un œil et sa santé fut ébranlée. Pourtant son caractère résista aux souffrances. Indomptable, il ne fit jamais sa soumission. C’est pourquoi son jubilé, célébré l'autre jour, donna lieu aux plus grandes manifestations patriotiques. Ce fut un spectacle émouvant et grandiose où le poète associa à son triomphe celui de la cause sacrée,
Au théâtre national de Zagreb (Âgram), une représentation solennelle fut donnée, au milieu de ja plus grande affluence. Les fleurs et les couronnes pleuvaient de tous côtés, mais la plus originale et la plus touchante fut celle envoyée par ses camarades de prison. Tous les journaux serbes, croates et slovènes, s'unissent pour célébrer l’anniversaire du héraut de l'unité de tout le peuple yougoslave.
À l’occasion de cette date mémorable, une souscription vient d’être ouverte. On souscrira partout où il y a des Serbes, des Croates et