La Serbie

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Dimanche, 25 Novembre 1917 - Ne 47

résistance, ouvrirent les portes de l'Orient, et celles des grands magasins de blés, de bétail, de métaux, portes de l'espérance, tout ce qu'il fallait pour permettre à l’Allemagne de continuer sa lutte. Sans ces ressources additionnelles, l’Allemagne n'aurait pas pu sans doute maintenir toute la force de ses armées.

Des centaines de milliers d'hommes, un magnifique matériel de combat, vinrent s’ajouter aux troupes placées sous son contrôle, gagnées pour elle, perdues pour nous. La Turquie, qui à ce moment-là avait presque épuisé ses ressources, étant coupée des seuls approvisionnements possibles, fut remontée, ressuscitée, et devint une fois de plus une puissance militaire redoutable, dont l’activité nous obligea à détourner des centaines de milliers de nos meilleurs soldats pour nous permettre de garder quelque chose de notre prestige en Orient. Par notre faute, une nouvelle vie fut insuf-

flée à cette terrible guerre. Pourquoi cette faute incroyable fut-elle

commise? La réponse est simple: c'est parce que personne m'était en particulier chargé de garder les portes des Balkans.

Le front unique n'était pas devenu une réalité. :

La France et l'Angleterre étaient absorbées par d’autres problèmes et dans d’autres régions. L'Italie ne pensait qu’au Carso. La Russie avait à monter la garde sur une frontière de 1,600 kilomètres, et même sans cela, elle n'aurait pas pu passer pour venir au secours de la Serbie, parce que la Roumanie était neutre. Il est vrai que nous envoyâmes des troupes à Salonique pour secourir la Serbie, mais comme toujours, elles furent envoyées trop tard. On les envoya quand le mal était fait. La moitié des hommes qui tombèrent dans le vain effort pour percer le front d'Occident en septembre de cette année 1915, aurait sauvé la Serbie, aurait sauvé les Balkans et aurait complété le blocus de l'Allemagne.

Vous direz: c’est une vieille histoire. Je le voudrais bien. C’est simplement le premier chapitre d’une série qui a continué jusqu’à l'heure présente ; 1915 a été l’année de la tragédie serbe, 1916 a été l’année de ia tragédie roumaine. Cette histoire est trop fraîche dans nos mémoires pour qu'il soit nécessaire de rappeler les événements. Que puis-je en dire? Je n'ai rien à en dire, sinon que ce fut la répétition de lhistoire serbe, grecque sans aucun changement. »

Gustave Weigandetles Macédoniens

Les articles de M. H. Wendel sur la Macédoine ont produit une grande sensation parmi les Bulgares, et provoqué de nombreuses réponses. Une de ces réponses, dont l’auteur est Gustave Weïgand, professeur à l’Université de Leipzig, est particulièrement intéressante. M. Weigand est le type de l'agent bulgare et il y a longtemps qu'il s'est mis au service de la Bulgarie. Sa spécialité, c'est l'étude des Roumains macédoniens (Zinzares, Aromounes). Aussitôt que les Bulgares'‘ont vu venir G. Weigand dans les Balkans, ils l'ont tout de suite gagné à leur cause et l’ont chargé de propager, comme soi-disant témoin oculaire, les intérêts bulgares. Maintenant que M. Wendel a démontré l’inanité des prétentions bulgares sur la Macédoine, G. Weïigand s’est senti obligé de soutenir la thèse adverse. Comme réponse

à M. Wendel, il a écrit dans la « Vossische Zeitung » du 7 août un article intitulé : « Qui sont les Macédoniens ». De cette réponse on peut juger d'après ce qui suit.

M. Weigand dit: « Bien que la langue macédonienne contienne des différences dialectiques avec la langue bulgare, ainsi que ceftains phénomènes vocaux qui sont plus rapprochés de Ia langue serbe que de la langue bulgare, le caractère de la langue macédonienne ne reste pas moins bulgare, »

Or, la langue macédonienne ne peut passer en aucun cas pour une langue bulgare. La meilleure preuve en est l'argument suivant: Sous le règne turc, les Bulgares et les Serbes ont eu leurs gymnases en Macédoine. Les collèges bulgares avaient des classes préparatoires, dans lesquelles les enfants devaient passer au moins six mois afin de pouvoir suivre en langue bulgare les cours au collège. Les gymnases serbes n'avaient pas cependant besoin de ces classes préparatoires. Peut-il y avoir au sujet de la langue macédonienne un argument plus éclatant en faveur des Serbes que celui-ci ?

M. Weïgand s’efforce de démontrer le droit bulgare sur la Macédoine aussi par la fondation en Macédoine des écoles bulgares depuis le milieu du XIXe siècle. La valeur de cet argument est très bien démontrée par le fait que les écoles bulgares ont été introduites en Macédoine seulement depuis le milieu du XIXe siècle, tandis que les écoles serbes n’ont jamais cessé d’exister en Macédoine depuis le moyen âge jusqu'à nos jours. L'essentiel, c'est que les écoles bulgares ont été créées par la propagande bulgare, alors que les écoles serbes ont été créées et maintenues par le peuple de Macédoine lui-même, inspiré par ses convictions serbes et sans subir aucune influence extérieure.

M. Weigand invoque aussi le résultat obtenu par les écoles bulgares en Macédoine. Il aurait mieux fait de montrer l'effet de la propagande et de la terreur bulgares qui ont non seulement créé des écoles bulgares, mais converti à la nationalité bulgare des Serbes de pur sang. L'exemple suivant montre bien à quel point furent amenées la propagande et la terreur bulgares en Macédoine: Déjà avant la création de l’exarchat bulgare est venu en Macédoine, comme maître serbe, Djordje Miletié, frère de Svetozar Miletié, représentant du peuple serbe en Hongrie. La propagande et fa terreur bulgares l'ont obligé à se dire Bulgare. Aujourd’hui son fils, Ljubomir Miletié (nom et prénom sont serbes), professeur à l'Université de Sofia, est un des Serbophobes les plus acharnés! C’est ce même Ljubomir Miletié que le gouvernement bulgare a délégué pour organiser en Allemagne une série de conférences en faveur des intérêts bulgares dans les Balkans et que M. Weigand ne connaît que trop bien. Dès lors, s’il en est ainsi avec des intellec-

tuelsy alors on peut s'imaginer l'attitude des gens

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simples.

Quant au dernier argument de M. Weïgand, il n’a pas besoin de commentaite; il consiste à dire:

« Nous autres Allemands, nous avons le moins de raison de contester aux Bulgares leurs droits. Ne fut-ce pas les Bulgares qui les seuls etles premiers, au cours de cette guerre terrible que nous menons d'accord avec l’Autriche-Hongrie et la Turquie, se joignirent à nous et montrèrent ainsi devant tout le monde que nous sortirons vainqueurs de cette lutte? C'est pour cette raison que nous devons tâcher que la Macédoine soit unie à la Bulgarie, même au cas d’une paix sans annexion ! »

Si M. Weigand avait donné cet argument en premier lieu, le but de sa réponse aurait été beaucoup plus clair.

Tih.R. Dj.

Les Bulgares et les revers italiens

L' « Echo de Bulgarie» du 27 octobre écrit:

«Les nouvelles les plus réjouissantes nous arrivent de la guerre sur le front italien. Les victoires remportées donneront à entendre à l'ennemi que si l'alliance centrale désire la paix, ce n'est pas parce qu’elle ne peut plus rien attendre de l’avenir, mais parce qu’elle trouve que toute effusion de sang ultérieure est un crime dans les conditions actuelles.

En même temps l’Entente pourra se rendre mieux compte de la vitalité réelle de l’Autriche-Hongrie.

Quant à nous, nous sommes heureux de voir nos alliés austro-hongrois remporter de nouvelles victoires, aussi belles que fructueuses, et donner une fois de plus des preuves éclatantes de leur extraordinaire vitalité et de leur force inépuisable. Nous nous réjouissons avec eux des résultats obtenus et nous avons comme eux, la foi que d’autres, plus grands encore, viendront bientôt s’y ajouter. »

Les « Narodni Prava» du 27 octobre écrivent :

« La victoire sur l'Italie constituera en même temps l’anéantissement d’un brigand dangereux qui désirait s'emparer de terres dans les Balkans et subjuguer les peuples vivant sous le spectre des Habsbourg. L'Italie doit finir victime de son appétit insatiable. Ceux qui couraient après les folles déclamations d’un d’Annunzio exalté doivent voir la ruine dans laquelle elles ont entraîné le peuple italien. »

Le « Mir » du 28 octobre, organe de Guéchoff et des soi-disant russophiles, commente ainsi les revers italiens :

« L’offensive qui vient de se déclancher apparaît comme un événement nécessaire dans cette guerre. Espérons qu’elle fermera le cycle des défaites de l’Entente de telle manière que la répugnance à conclure la paix se dissipera complètement. La participation de troupes allemandes en nombre considérable est une preuve qui fait voir qu’il s’agit ici d’une opération des plus sérieuses, sinon la plus décisive dans la guerre actuelle. Une rupture de la liaison existant entre l'Italie et la France sera fatale à d’autres encore qu'aux Italiens. »

Et la « Kôlnische Zeitung » du 3 novembre, reçoit la correspondance suivante de Sofia :

« Avec les succès grandissants remportés par les Puissances Centrales ‘sur l'Italie, croît aussi la joie dans toute la Bulgarie, car les Bulgares voient se réaliser leurs anciennes espérances d’assister à la destruction de l'Italie, En ce qui concerne celle-ci, en Bulgarie il n’y a qu’une seule opinion : c’est qu’une punition juste a atteint l’ancien allié des Puissances Centrales, parjure et lâche, vantard et présomptueux. Tous les cœurs bulgares sont dilatés par l’enthousiasme provoqué par les victoires. »

Le programme minimum yougoslave

La déclaration faite par le Club yougoslave, le 30 mai 1917, a fait son chemin.

La déclaration de Corfou a produit également une énorme impression sur les Yougoslaves de la monarchie. L’attitude courageuse des partis tchèques a aussi exercé une influence immense. Le Club yougoslave, qui a voté le budget au cours de la première session du Parlement autrichien, avait déclaré alors que, si le gouvernement et les milieux compétents ne donnaient pas une solution équitable au problème yougoslave avant la nouvelle session d'automne, il se verrait oblizé de passer à l’opposition et de refuser de voter le budget. La seconde

‘session parlementaire s’ouvrit en effet sans qu'aucune suite n'ait été donnée aux revendications yougoslaves. Dès lors le Club, en parfaite communion d'idées avec tout le peuple, déclara une opposition systématique au gouvernement et refusa de voter le budget. ;

Le cabinet Seidler essaya plus d’une fois, dans des conversations avec les députés Koroëetz et Laginja, de gagner par des promesses la confiance du Club yougoslave. Les Yougoslaves tinrent bon et déclarèrent au président du Conseil ne vouloir entamer de négociations avec qui que ce soit. « C’est au gouvernement, dirent-ils, qu’il appartient de réparer les fautes commises. »

Cette hostilité ouverte entre le gouvernement de Vienne et le club yougoslave, obligea ce dernier à changer de tactique, et à déclarer que la question yougoslave ne pouvait pas être résolue, ainsi qu'on l'avait souhaité au début, par une entente entre les gouvernements de Vienne et de Budapest et les Yougoslaves, et doit être considérée dans l’avenir comme une question internationale, destinée à recevoir sa solution au Congrès de la paix.

La presse yougoslave de Zagreb, de Ljoubliana ainsi que d’autres centres, montre nettement cette nouvelle tendance et dès lors, la déclaration du Club yougoslave du 30 mai fut proclamée publiquement comme un programme minimum. En voici quelques extraits :

Le « Slovenski Narod » du 18 octobre :

« Il est nécessaire de préciser que notre déclaration de Vienne n’est qu'un programme minimum; nous ne voulons pas dire paï là que mous considérons notre problème comme ne constituant pas une affaire internationale. »

Le « Slovenec » du 24 septembre 3

« Notre revendication vitale en vue d’obtenir un Etat yougoslave libre sous le sceptre des Habsbourg, constitue notre programme minimum auquel nous ne renoncerons pas et au plus petit détail duquel nous n’oserons même pas toucher. Le principe qui nous inspire, c’est mourir ou vivre, tout ou rien! Toute politique d'étape et de compromis, soit sous la forme d’autonomies nationales régionales, soit sous la forme d’autonomies nationales dans le genre de lIllyrie, ne peut pas et ne doit pas nous satisfaire. Nos députés doivent déployer tous leurs efforts, toutes leurs forces pour la réalisation de notre programme. »

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des Slovènes. Le monde yougoslave tout entier tient à témoigner sa reconnaissance et son admiration au grand poète qui l’honore, et qui, symbole de son martyre, incarne la foi et la gloire de son peuple.

M. D. MaRINCOVITCH.

La mort du Major et Mrs Askew

Nous apprenons avec le plus grand regret, par le « Times » (édition hebdomadaire) du 26 octobre, la mort tragique du major Claude-Arthur Cary-Askew et de Mme Askew, torpillés ie 5 octobre dans la Méditerranée par un sous-marin ennemi.

Le major et Mme Askew étaient des amis dévoués des Serbes. Tous les deux avaient été en Serbie pendant la guerre, le major Askew étant attaché à l'armée serbe. Leur livre «Le pays martyr » (Stricken Land), qui a été publié il y a un peu plus d'une année, est un rapport vivant de leurs aventures vécues avec l’armée serbe dans la retraite de Priëtina vers Allessio (Ljes). Les auteurs avaient passé en Serbie six mois avant la retraite et ont écrit avec une sympathie et une reconnaissance réelles sur la Serbie et le caractère serbe.

Le dimanche 21 octobre, un requiem a été célébré à Corfou en mémoire des défunts. L'archevêque de Belgrade et métropolite de Serbie Dimitrié officiait, assisté d’un nombreux clergé.

Etaient présents : tous les ministres serbes, sauf le ministre président, qui, pour cause de maladie, ne put s'y rendre; M. Charles de Gras, ministre de Grande-Bretagne à la Cour de Serbie, avec le personnel de la légation et la colonie anglaise; les députés serbes, Îles chefs des ministères, le commandant des troupes serbes à Corfou, général N. Stefanovié, avec le corps d'officiers ; le président de la Croix-Rouge serbe, colonel sanitaire le Dr M. Borisavljevié, les fonctionnaires de diverses administrations, un grand nombre de citoyens et de soldats.

Dans un beau et touchant discours, S. E. le métropolite de Serbie a rendu hommage à la noble œuvre samaritaine des défunts ‘auxquels le peuple serbe doit une reconnaissance éternelle. « De nouveau, a-t-il dit, un devoir nous a réunis en mémoire de deux grands amis du peuple serbe, du major Askew et de sa femme, qui, s’immolant pour le peuple serbe, ont sacrifié le même jour, par une mort tragique, leurs vies dans

les vagues glaciales de la mer. » Et il a terminé en ces termes: « La,

mémoire que nous leur gardons, ils l'ont méritée et notre devoir sacré est de nous souvenir toujours d’eux, car ils donnèrent leurs vies pour le salut et le bien de notre peuple. Que le Tout-Puissant accorde à leurs âmes la paix du paradis et fasse que notre peuple sorte victorieux de cette lutte mondiale et que ses descendants se rappellent toujours avec gratitude ceux qui lui assurèrent les bases d’un meilleur avenir. Amen ! »

Le Bulletin monténégrin. Publié par le Comité monténégrin pour

l'union nationale. Nos 1, 2 et 3. Genève, imprimerie Kundig

Le Comité monténégrin a eu l’heureuse idée de réunir dans une publication paraissant selon la nécessité tout le matériel et tous les documents se rapportant à l'union projetée de la Serbie et du Montenegro. Trois petits volumes du Bulletin ont paru déjà renfermant des informations instructives sur la question monténégrine. Le premier numéro contient le programme et le manifeste du Comité monténégrin, ainsi que quelques articles documentés sur les événements au Montenegro. Le second est consacré à l'union yougoslave et au manifeste de Corfou, tandis que le troisième, traite plus particulièrement, sous forme dé polémique, la question du roi Nicolas et de son attitude avant et pendant la catastrophe de 1915. Nous recommandons la lecture de ce bulletin à tous ceux qui s'intéressent à la question serbe.

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Auausrze GAUVIN : L'Europe au jour le jour. Tome I. La Crise bosniaque 1908-1909. (Paris, 1917. Editions Bossards).

Annexions et désannexions : Bosnie-Herzégovine. Par NikoLa STOIANOVITCH, député à la Diète et membre du Conseil national de Bosnie-Herzégovine. (Genève, 1917. Imprimerie Kundig).

Ces deux publications, quoique bien différentes, se complètent admirablement. Le livre de M. Gauvin renferme une riche collection d'articles publiés par l’illustre rédacteur politique des « Débats », au cours de la crise bosniaque. Ce recueil, malgré son apparence d’inactualité, est un document précieux pour la compréhension des événements présents, et on ne saurait assez féliciter M. Gauvin d’avoir assumé la tâche de nous donner un résumé rétrospectif et fidèle de tout ce qui a précédé la guerre actuelle et ce qui l’a en quelque sorte préparée et même provoquée. La lecture de ce livre est d'autant plus instructive que M. Gauvin a tenu à conserver son indépendance complète de jugement ; ses opinions politiques, qui pouvaient paraître alors trop audacieuses, ne se révélèrent dans la suite que trop justes et trop adéquates, L'autorité magistrale, avec laquelle M. Gauvin commente journellement aux « Débats » les événements politiques, ne peut qu'être accrue par ces témoignages rétrospectifs de son talent d'écrivain et d'homme d'Etat prévoyant.

L'étude de M. Stoïanovitch est toute d'actualité, Elle rappelle à ceux qui lancent des formules vagues sur la paix, l'injustice flagrante commise par l'Autriche-Hongrie en 1908, lors de l'annexion arbitraire de la Bosnie-Herzégovine. Après avoir exposé quelques notions élémentaires sur ces deux provinces serbes arrachées par la ruse et la violence du corps national yougoslave, M. Stoïanovitch s’est donné la peine de retracer aussi un tableau vivant du régime austro-magyar qui n’a pas même résolu la question agraire.

Le livre de M. Stoïanovitch démontre jusqu’à l'évidence le manque

de sincérité de ceux qui parlent de la paix sans annexions et qui ne

songent nullement à la désannexion la plus naturelle et la plus logique, celle de la Bosnie-Herzégovine. L