La Serbie

Dimanche, 30 Décembre 1917 - N° 52 . de A tn

Les Yougoslaves et l’Autrichke-Hongrie _— Un discours du député Splincic — |

Les journaux « Slovenski Narod » (5 dé-

cembre) de Ljubljana et « Obzor » (7 décembre) de Zagreb, publient le discours pro-

noncé, le 3 décembre, au Parlement de Vienne, par le député croate d'Istrie Vje-

koslav Spinèié, à l’occasion des débats

sur le compromis entre l'Autriche et la Honrie. : « Tous nous désirons la paix, a dit M. Spinèié. La seule condition que nous mettrons à la conclusion de la paix est l’application du principe d’après lequel les peuples doivent disposer d'eux-mêmes. Après la guerre, il faut rendre à jamais impossible le retour du traitement que certains peuples ont dû subir, entre autres le peuple serbocroato-slovène : il ne doit plus exister deux

+ catégories de peuples, les oppresseurs et

les opprimés. Il faut abolir la domination étrangère qui, en ce qui concerne le peuple serbo-croato-slovène, s'est transformée en un régime de terreur. C’est au système dualiste en vigueur, qui repose sur le compromis avec la Hongrie qu'il faut attribuer la possibilité de cette terreur. Ce compromis n'existe que pour que tout puisse être interprété en faveur des Magyars et au détriment des pays de l’autre moitié de la monarchie et de la Croatie. Le dualisme tel qu’il est, n’est donc qu’un malheur pour les Yougoslaves; pour eux, il signifie la mort et la destruction de leur peuple. (Vive approbation). Par suite du dualisme, les Yougoslaves sont à la merci, d’une part des Allemands, de l’autre des Magyars, dans certaines régions, des Allemands et des Magyars réunis.

La conduite envers les Yougoslaves, au début de la guerre et depuis qu'elle dure, dépasse en horreur tout ce que l'histoire de l'humanité a jamais enregistré. Nulle part et jamais, les gouvernements n'ont agi aussi mal envers leurs propres ressortissants et d’une manière aussi cruelle que nos gouvernements vis-à-vis des Croates, des Serbes et des Siovènes. (Vive approbation). Les milieux compétents de l’Autriche qualifiaient cette guerre de guerre entre le germanisme et le slavisme, tandis que les politiciens magyars affirmaient qu’il s’agissait d’une guerre contre les Slaves. Et, en effet, des millions de Slaves ont. été forcés

_ de combattre pour l'Allemagne et pour des

buts dynastiques.

Il n’y a pas de situation plus horrible que de devoir combattre pour son esclavage. Le peuple yougoslave — pour autant qu'il survivra à cette guerre — verra que ces ennemis ont forgé pendant cette guerre des chaînes beaucoup plus fortes que celles qu’il subissait jadis. On se propose d’introduire l'allemand comme langue d'Etat, de créer des écoles allemandes, d'établir une administration militaire, de vendre le territoire et le littoral croates, d’instituer différentes sociétés financières, d'imposer la langue et les écoles magyares.

Les Allemands et les Magyars déclarent que les troupes austro-hongroises qui ont occupé la Bosnie-Herzégovine, ont le droit le plus complet d'y établir leur domination. Ils déclarent qu'ils ne veulent pas permettre que la Bosnie-Herzégovine s’unisse aux autres pays yougoslaves. Les Allemands et

Comme tout cela est loin! Se peut-il qu'après cinq siècles de domi-

les Magyars disent qu'ils ne veulent pas que les pays yougoslaves s'unissent, et quoique cette union nous soit nécessaire, ils prétendent en avoir besoin pour euxmêmes pour leur développement. L'Istrie, la Dalmatie et les pays slovènes doivent être, disent-ils, à eux pour qu'ils puissent disposer de la mer. Les Magyars se servent du littoral et de l’arrière-pays pour pouvoir parvenir à la mer. Ils se comportent comme si les peuples existaient uniquement pour l'Etat et non pas l'Etat pour les peuples. (Vive approbation).

Tout peuple doit se dévolopper et admi-.

nistrer son Etat de la façon qu'il juge préférable pour lui. Les peuples seuls ont le droit de décider d'eux-mêmes. Cela est si naturel qu’il ne vient pas à l’idée de dépenser inutilement ses paroles pour le démontrer. Le vrai principe démocratique et chrétien ne demande pas seulement l'égalité parmi les hommes, mais aussi l'égalité parmi les peuples. La monarchie des Habsbourg est une alliance de divers Etats nationaux. Les Croates et leurs peuples frères n’ont jamais fait choix du peuple magyar pour les dominer; ils se sont bornés jadis à élire leur souverain, qui était en même temps le roi magyar. Ils n’ont jamais choisi pour souverain le peuple allemand, mais uniquement un prince qui régnait sur certains éléments allemands et cela à condition que lui et ses descendants réuniraient à leur propre royaume croate, les parties éparses. Si donc, certains Messieurs en appellent à l'Etat qui règne depuis un certain temps, nous devons dire que cet Etat a été créé par la force et par la tricherie. Pendant la guerre, les Yougoslaves ont été plus que jamais opprimés en qualité de traîtres à la patrie. Ils préfèrent cependant être qualifiés de traîtres à l'Etat par ceux qui veulent anéantir les Yougoslaves, que de se constituer les traîtres de leur propre nation. Pendant cette guerre, le peuple yougoslave s’est renforcé dans sa conviction qu’il n’a que du mal à attendre des Allemands et des Magyars et que le système dualiste en vigueur lui est funeste. Le peuple yougoslave doit s’en délivrer. On essayera de nouveau de faire régner la terreur sur notre peuple. On le fait déjà maintenant. Que les milieux responsables sachent cependant qu’ils ne pourront rien faire contre la volonté générale de notre peuple. Nous demandons une patrie croatoserbo-slovène libre et indépendante de toute

vie étatique d'un autre peuple étranger.

Nous nous fions à Dieu et à la justice, ainsi qu'à nos droits et à notre force morale. (Vives approbations).

Propagandistes magyars en Sulsse

M. Willy écrit, dans « La Suisse » du 11 décembre, le spirituel article que voici :

« Tout le monde sait qu’en Hongrie les nationalités diverses composant la majorité de la population sont cyniquement pressurées par une impudente minorité de race magyare qui ferme leurs écoles, sacque leurs fonctionnaires, coupe, tranche, expro-

. LA SERBIE

prie, bref, les traite comme gueux taillables -et corvéables à merci.

« Afin de parachever cette campagne d’oppression systématique, le Parlement hongrois s'apprête à voter une loi électorale qui va frustrer les non-Magyars de leurs droits et ne leur laissera que les yeux pour pleurer.

« Cette situation étant indiscutablement connue, quand j'ai lu audacieux boniment de MM. Karolyi et Jaszi, quand j'ai pris connaissance des tarasconnades répandues en Suisse par ces Tartarins hongrois avec un culot qui ferait croire que le Rhône se jette à présent dans le Danube, j'en suis resté comme deux ronds de goulasch.

« C’est surtout M. Oscar Jaszi qui en :

met. À force de vanter son libéralisme tout neuf, il finit par y croire; emporté par son ardeur de néophyte, ce Magyar affublé d’un faux-nez démocratique, va jusqu'à s’affir-mer ennemi de la Mitteleuropa, Oscar, tu vas fort!

« Maintes fois, à la Société des sciences sociales de Budapest, ce palinodiste exalta les beautés de la Mitteleuropa « salvatrice » qu’il feint de répudier aujourd’hui. Avec quelle conviction, à défaut d'éloquence, il montrait l'avenir de la Hongrie dépendant de son alliance avec les Etats centraux groupés en un formidable bloc de 150 millions d'habitants, assez fort pour se rire des guerres économiques essayées par, l'hntente. Il en disait ! Il en disait!

« S'il lui plaît d'oublier, pour les besoins de sa cause, ses palabres germanophiles d'antan, d’autres s’en souviennent.

« Se poser à Budapest comme le plus inébranlable étai de l’alliance allemande, proclamér « L’étai c’est moi », et puis venir en Suisse pour envoyer aux échos des monts indépendants je ne sais quel hymne chiqué à la liberté des peuples, ah! non! non! Arrière ceux dont la bouche souffle le chaud et le froid! »

Les Magyars veulent exproprier les biens des non-Magyars

Nous avons parlé dans notre numéro 49 des dispositions iniques du ministre de l’agriculture hongrois Mezüssy relativement à l’expropriation des terres qui se trouvent dans les mains des peuples non-magyars de Hongrie. Les députés tchèques Klofaë Stanek et autres ont déposé au Parlement de Vienne une interpellation pour protester contre cette mesure réactionnaire du gouvernement hongrois. Ces protestations n'ont pas l’heur de plaire aux Magyars. Tous les journaux hongrois en veulent aux Tchèques au point de leur déclarer une guerre à outrance.

« Cette ordonnance que les Tchèques attaquent, dit le « Pesti Hirlap » du 28 novembre, n’est que la moitié de la besogne à accomplir. Elle ne constitue qu’un essai partiel de la politique foncière magyare systématique. L'Etat magyar a le droit de décider quel sera l’élément qui pourra posséder les terres. Il a le droit d'assurer son territoire contre les éléments suspects. L'Etat doit avoir un droit illimité

d'expropriation pour pouvoir morceler et coloniser les terres. Il doit introduire une saine attribution des terres à la race magyare qui seule soutient l'Etat. Au sud, ce sont les Serbes qui dé-

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tiennent nos meilleures terres. En Transylvanie, ce sont les Roumains. Voilà pourquoi l'ordonnance de Mezôüssy n’est qu’un commencement. Nous exigeons que cette politique soit continuée sur une large échelle. Pendant tout le temps que le gouvernement détiendra le pouvoir, il doit lemployer à rendre le Magyar maître de la terre en Hongrie.»

La Buigarie et l’Amériqu

La « Kôlnische Zeitung » du 12 décembre reçoit de Sofia la correspondance suivante ::

« Le jugement de la Bulgarie sur la déclaration de guerre de Wilson à lAutriche-Hongrie et sur l'annonce faite par lui d'une déclaration de guerre à la Turquie et à la Bulgarie, est unanime. La personnalité de Wilson est ici mieux connue qu'il ne peut le croire. De tous les commentaires, de quel parti qu'ils viennent, il résulte qu'on le considère comme une espèce d'homme enragé. On s'étonne du surprenant aveuglement avec lequel il croit pouvoir, avec quelques phrases, prendre la Quadruple Alliance à l’hameçon. De façon très nette et dénuée de douceur, la presse bulgare unanime lui crie qu’il se trompe gravement. On se moque de ses gestes imités de Napoléon. Il a rendu à son pays un très mauvais service en attaquant de façon aussi grossière la Bulgarie, qui a montré ses bonnes intentions et qui avait l'habitude d’entretenir des relations amicales avec l'Amérique. C'est le jugement du peuple bulgare tout entier. »

La « Frankfurter Zeitung » du 12 décembre publie une déclaration du président du conseil bulgare, Radoslavof:

« Les déclarations et le message de Wilson surprennent, car depuis la rupture des relations entre l'Amérique et l'Allemagne, il n'y a eu-aucun changement dans la politique bulgare envers l'Amérique. Wilson a sans doute l'intention de provoquer un refroidissement ou un conflit entre la Bulgarie et ses alliés. Sur ce point, il se trompe profondément ».

L'armée tchéco-slovaque

Le gouvernement français a décidé de former une légion tchéco-slovaque qui, tout en étant sous la direction militaire du Haut Commandement français, dépendra politiquement du Comité National Tchéco-Slovaque à Paris. Cette décision dont l'importance internationale saute aux yeux et qu’il eut fallu, à notre avis, prendre depuis longtemps, a produit en Autriche une vraie consternation. La presse de Vienne et Budapest, prise d'un véritable accès d'hystérie, attaque furieusement M. Clémenceau, M. Poincaré et tous les Français au monde.

Nous enregistrons cet orage inoffensif, espérant que les Alliés ne s'arréteront pas à mi-chemin et qu'ils donneront à la mesure militaire sa base politique er proclamant leur volonté d'accorder aux Tchéco-Slovaques l'indépendance et la liberté. Il faut qu'on parle clair aux gens qui font les sourds et qui s'imaginent que l'Europe pourra trahir les peuples auxquels elle est obligée de donner la liberté promise.

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La tombe de Mme Askew

nation, — cinq siècles — une puissance militaire comme celle des Turcs ait eu une aussi faible pénétration! Je vous écris ces lignes de cette grande et vieille cité gréco-juive de Salonique qui fut le centre du mouvement jeune-turc, et où les Turcs pourtant étaient et faisaient si peu la vie. Ici, en quittant les pays slaves on retrouve toute la vie méditerranéenne et l'on est à la fois surpris et ravi de constater à quel point le français est la langue la plus connue des divers groupes, celle que les divers groupes ethniques parlent le plus après leur langue propre. Il est à peine croyable que dans cette ville commerçante, le turc ait été si peu la langue dominante : le vali et les portefaix parlaient seuls le turc.

. Si vous le désirez, Monsieur le Ministre, je pourrai vous dire ce .qu'il me semble qu'on peut penser de l'avenir de la Confédération balkanique et des connexions des intérêts français avec les ambitions divergentes des diverses puissances qui la composent. L'union offensive ne résistera pas à l’expériment des réalités d'organisation. Que ce soit heureux ou non, peu importe. Cela est. Ce n’est pas l'Europe qui a fait la Confédération balkanique ; ce n’est pas l’Europe qui l’'empêchera de se défaire. À notre pays revient seulement le devoir de tirer

en faveur de nos droits traditionnels et de notre influence à venir les |

avantages que comporteront nos rapports avec des Etats aussi dissem-

blables, Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, les assurances de mes senti-

ments les plus respectueusement dévoués. Jean BRUNHES,

professeur au Collège de France.

L'Imposture par l'Image !

Il n’est presque pas de feuille illustrée allemande qui ne se soit rendue coupable de falsifications ou de plagiats. La brochure L'Imposture par l’Image contient, sur 80 pages, une riche moisson de gravures empruntées, par les illustrateurs allemands, aux illustrés français ou anglais, et qu’ils ont falsifiées. Ce recueil reproduit encore quantité de faux fabriqués de toutes pièces, de vieilles photographies rajeunies, de scènes arrangées pour le cinéma, de légendes à variantes, de dessins injurieux ou calomnieux.

Les Serbes ont été, eux aussi, l'objet de deux faux vulgaires. L'un, dont l’auteur est G. von Finetti et qui fut reproduit par la « Wochenschau » du 10 avril 1915, représente des hussards autrichiens faisant au galop des prisonniers serbes. Les Serbes ont levé les mains et, dans une posture ignominieuse, demandent grâce aux soldats autrichiens. Quant on regarde la date du tableau, on constate sans peine que l’auteur a dessiné les soldats autrichiens pendant leur déroute en Serbie en intervertissant les rôles : le lâche Autrichien est devenu le courageux Serbe et le Serbe est travesti en un hussard autrichien.

La seconde falsification est encore plus répugnante. Reproduite par le « Deutscher Kurier » n° 42, elle représente des « chanteurs de rues serbes qui chantent les exploits des soldats allemands » !! Quelle impudence !

Cette collection est un document précieux de la mauvaise foi et des procédés mensongers de la propagande allemande par l’image et nous la recommandons à tous nos lecteurs. Abe

4 L’Imposture par l'Image. Recueil de gravures falsifiées et calomnieuses publiées par la presse illustrée austro-allemande pendant la guerre. 3 fr. — Lausanne et Paris, Librairie Payot & Cie.

Nous avons publié la nouvelle de la mort tragique du major Arthur Cari Askew et de Mme Askew, torpillés dans la Méditerranée.

Dans son numéro du 14 novembre, la « Hrvatska Drzava » de Zagreb a inséré une correspondance de Blato, dans l’île de Corèula (Curzola), dans laquelle le Dr. Lujo Fouque donne quelques détails complémentaires concernant Mme Askew :

« Le 30 octobre, écrit le médecin, la municipalité m'invita à me joindre à une commission sanitaire qui devait se rendre à Porto Carboni à deux heures d'ici pour faire un constat, la mer déchaînée ayant rejeté sur le bord un corps de femme. Par une tempête effroyable, la commission arriva sur place, où il n'y avait que quelques cabanes de pêcheurs. Devant ces cabanes, au bord même de la mer, gisait, sur une pierre, le cadavre. D’après les vêtements en soie et quelques autres signes, on put immédiatement conclure qu'il s'agissait d’une dame de la haute société.

« On trouva, attaché au corset par une épingle de sûreté, un paquet enveloppé dans un mouchoir de soie, qui contenait quelques manuscrits bien conservés, écrits en anglais et en français. Le soussigné a pu établir, d'après ces manuscrits, l'identité de la victime : il s'agissait du cadavre de Mrs Alice Askew, célèbre auteur anglais, qui, en faisant ja traversée de Corfou sur un bateau anglais, avait été torpillée et avait trouvé la mort dans les flots de l’Adriatique.

« La commission a enterré le cadavre, le 30 octobre, non loin de la mer, au-dessus de la palissade d’une vigne. Ces jours-ci, on placera un petit monument avec une croix et une inscription pour qu’on sache où gisent les restes de ce célèbre écrivain anglais.

oo Imprimerie L. Reggiani, rue du Diorama, 16, Genève.