La Serbie

À

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1.

LIFINAL EF

Genève, Samedi 12 Janvier 1918

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Faraissant tous lies Samedis

Rédacteur en chef: D' Lazar Markovié, professeur à l'Université de Belgrade

M. Lloyd George et l'Autriche-Hongrie

_ M. Lloyd .George.a.fait devent les délé- | Austro-Magvars se décideront un jou gués du parti travailliste un grand exposé

des raisons qui déterminent la Grande-Bretagne et ses alliés à continuer de combattre. Parlant plus particulièrement des buts de guerre, M. Lloyd George, à côté des principes généraux qui conduisent les peuples alliés dans leur lutte contre le germanisme, a aussi indiqué quelques solutions concrètes sans lesquelles l'établissement d’une paix durable en Europe ne serait pas possible. Le Premier anglais a tenu selon son habitude un langage clair et ferme. L'Angleterre est toujours décidée, a-t-il dit, de poursuivre la guerre jusqu’à la réalisation de ces trois buts essentiels: 1. le rétablissement du caractère sacré des traités ; 2. le règlement territorial fondé sur le droit des peupies de disposer d'eux-mêmes, c'est-à-dire sur le consentement des gouvernés; 3. l'institution d’un organisme international limitant le fardeau de l’armement et diminuant les probabilités de la guerre. En développant et en justifiant cette politique des pays alliés, M. Lloyd George a insisté surtout sur le point 2 qui est capital. « L'époque du traité de Vienne est bien loin de nous, at-il dit Nous ne pouvons plus remettre l'avenir de la civilisation européenne aux décisions arbitraires d’une poignée de négociateurs s’efforçant à garantir les intérêts de telle et telle dynastie ou de telle et telle nation. Le règlement de l'Europe nouvelle devra être fondé sur les principes de raison et de justice qui en garantissent la stabilité. C'est pourquoi nous estimons que lè principe du gouvernement par le consentement des gouvernés doit servir de base à tous les règlements tesritoriaux qui suivront cette guerre. »

Passant des principes posés à leur application, M. Lloyd George a cependant exprimé sur la question d’Autriche-Hongrie une opinion qui, tout en répondant, dans la forme, au principe de la liberté des peuples et à leur droit de disposer d'eux-mémes, représente en réalité une éclipse sérieuse dans la politique générale des Alliés. La déclaration expresse de M. Lloyd George que le démembrement de lAutriche-Hongrie ne fait pas partie des buts de guerre alliés est en contradiction flagrante avec le principe énoncé au commencement du discours, à savoir que le règlement territorial en Europe doit se faire d’après la volonté des peuples respectifs. Ce qui aggrave surtout l'effet désastreux d'une telle déclaration sur les peuples opprimés de l’Autriche-Hongrie, c’est que M. Lloyd George a fait des distinctions très discutables, en somme, disant qu’une Pologne indépendante est une nécessité pour l'Europe, d’où l’on pourrait conclure que selon M. Lloyd George une Tchéco-Slovaquie indépendante ou une Yougoslavie ne seraient pas dans l'intérêt de l’Europe!

Il est aussi à remarquer que M. Lloyd George n’a pas tenu compte des manifestations répétées des représentants autorisés des peuples slaves de la Monarchie, mani-

festations nullement douteuses en ce qui

concerne le désir ardent des Slaves de se débarrasser du joug austro-magyar. M. Lloyd George croit qu’une libération effective des Slaves soit compatible avec le maintien de la monarchie dualiste, c’est là une erreur dont les conséquences pourront être incalculables. Supposer que les

Si.

mettre sur le pied d'égalité avec les peu-

! ples slaves, c'est faire preuve d’une incom-

préhension dangereuse du véritable caractère de la monarchie bicéphale.

Ce qui nous préoccupe le plus, nous Serbes, c’est l’idée qui peut avoir inspiré aussi M. Lloyd George, qu'après la défection russe on pourrait chercher, dans une Autriche-Hongrie régénérée un ailié éventuel pour la lutte contre le germanisme. L'erreur de 1870 se répéterait ainsi et au lieu de faciliter la naissance des Etats nationaux, jeunes, vigoureux, jaloux de leur indépendance et adversaires résolus du germanisme, on s’efforcerait de vivifier un organisme pourri et destiné à mourir. Ce serait en somme une tentative tout à fait inutile car l’Autriche telle qu’elle est n’est pas capable d’une régénération quelconque. Elle peut subsister aussi longtemps que subsiste son organisation bureaucratique et militaire, basée sur la prépondérance absolue des deux peuples privilégiés, Magyars et Allemands. Toucher à ces fondements mêmes de l’idée autrichienne, signifie condamner la Monarchie à se désagréger. Ce n’est pas nous Serbes qui l'avons constaté les premiers. Les Allemands et les Mag-

_yars le-savent mieux que nous. Un éminent publiciste anglais, M. Wickham Steed, après avoir étudié sur placé le problème austrohongrois, a surtout insisté sur ces liens artificiels qui retiennent l'édifice suranné des Habsbourg.

Si M. Lloyd George voulait pactiser avec les Habsbourg et livrer à leur merci les Slaves de la Monarchie, son allusion à la conservation de l'Autriche-Hongrie aurait un sens pratique. Mais puisque toute idée d’une telle trahison des peuples opprimés est, nous en sommes convaincus, complètement étrangère au gouvernement britannique, nous ne comprenons pas du tout ce passage qui fait une si mauvaise figure dans le discours d’un homme en qui les peuples asservis mettent tous leurs espoirs.

EM.

M. Lloyd George et le peuple serbe

Le président du Conseil des ministres de Serbie a reçu le télégramme suivant de M. Lloyd George:

« À l'occasion du renouvellement de l’année, je tiens à adresser de la part du cabinet de guerre au gouvernement et au peuple serbe un message de cordialité. Chaque jour qui s’écoule doit nous faire comprendre plus clairement que les espoirs du genre humain reposent sur notre cause et chaque jour nous prouve que l'amitié et l'affection que nous éprouvons les uns à l'égard des autres sont de plus en plus comme le ciment d’une alliance qui est ‘maintenant la gardienne de la justice et de la liberté à travers le monde.

« Nous tenons particulièrement à remercier l'armée serbe pour le courage déployé au cours de l’année dernière et pour Sa détermination à continuer la lutte jusqu'à ce que la justice soit faite et le monde soit débarrassé de la domination de cette autocratie militaire dont le discrédit et la défaite sont essentiels à la paix durable. Aucune de mes paroles ne peut rendre d’une manière plus adéquate l’idée que nous nous faisons de ce que nous devons aux armées qui Combattent et souffrent afin que ceux se trouvant derrière la ligne puissent jouir de la liberté et de la paix. Nous ne pouvons que

! les remercier du fond du cœur, fermement

convaincus que la nouvelle année sera té-

moin du fruit de leurs sacrifices, c'est-àdire de la victoire et de la liberté. »

OLITIQUE MEBDOMADAIRE

Suisse....... 6 fr. — par an

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tés de l'honneur que “ La Serbie , leur fait en traitant dans ses colonnes les événements de Hongrie. Ainsi le journal “ Viüag , (numéro du 13 septembre), prétend que “ La Serbie , serait le seul journal ententiste qui n'oublie jamais les Magyars. « Dans cette rédaction (il s'agit de la nôtre) se plaint amèrement le correspondant du “ Vilag ,, on lit les journaux hongrois avec un zèle surprenant, on suit attentivement tous les évènements de la Hongrie et on lit même les livres magyars. » Nous n'avons aucunement l'intention de démentir ici notre confrère du “ Vilag , el nous pouvons à la rigueur comprendre sa surprise.de nous voir s'occuper des affaires d'un pays qui n'a guère d'importance au point de vue international. Ce que nous comprenons moins bien, c'est qu'on puisse se fàcher de ce que nous lisons avec zèle les journaux et les livres magyars. Pourtant nous avouons que ce nest pas par curiosité que nous nous livrons à cette besogne ingrate. Si nous nous occupons des affarres de la Hongrie, ce n'est pas à cause

du plaisir que nous en tirons, encore

moins par prédilection, mais uniquement parce que le sort de plusieurs millions de nos frères est lié au sort de « l'Etat millénaire ».

_ Sans cette circonstance fâcheuse, nous confessons que la Hongrie serait le dernier pays qui aurait attiré notre attention et captivé notre intérêt. Y a-t-il en effet

quelque chose de moins intéressant qu'un !

-ase ia Les Magyars ne paraissent pas enchan- | pays, aussi arriéré.au point. de. vue. poli.

tique et social, où aucun rayon de 1a culture occidentale ne pénètre jamais ; un pays qui, en outre, fait partie d'un Etat, lui-même simple vassal de l'Allemagne ?

Pendant longtemps la Hongrie avait bénéficié de cet état de choses. Pour des raisons mentionnées plus haut, les cercles politiques de l'Entente ne S'intéressaient guère aux affaires de ce pays et les Magyars surent en lirér parti pour opprimer à loisir les peuples qui leur furent soumis. Heureusement, depuis quelque temps l’on commence à voir clair dans le jeu des Magyars et les cercles ententistes finissent par s'intéresser au sort des nationalités non-magyares, livrées à la merci d'un peuple à derni-civilisé.

Quant à nous, nous sommes bien décidés à l'avenir à stigmatiser, comme par le passé, les crimes que les Magyars commettent journellement envers les nationalités subjuguées et à dévoiler les dessous de leur politique agressive. Si en agissant ainsi il nous arrive de déplaire à nos confrères hongrois, nous n'y pour vons rien, sauf à leur laisser la maigre consolation si habilement inventée par le correspondant du “ Vilag ,, au dire duquel notre journal n'aurait pas beaucoup de lecteurs. Cette affirmation, nous en convenons, peut n'être pas tout à fait gratuite au moins en Ce qui concerne soft pays, où notre journal est interdit et où d'ailleurs l'on ne connaïf guère les langues . civilisées.

Les Serbes de Hongrie et les Magyars

La loi des nationalités de 1868 n’a jamais été respectée par les Magyars. Elle n'avait été votée que pour tromper les nations de l'Europe occidentale. Bien que l’article 9 de la loi des nationalités et l’article 38 de 1868 sur l'instruction publique garantissent aux Serbes l’emploi de la langue dans les écoles primaires, dès 1879, le parlement hongrois approuvait une loi visant à magyariser les allogènes. Six millions de Magyars se proposaient de magyariser les nationalités de Hongrie deux fois plus nombreuses, et qui ne leur sont en aucune façon inférieures! Cette tâche difficile, les Magyars espèrent l’achever en employant des mesures de plus en plus brutales contre leurs adversaires. En 1881 le ministère de l'instruction publique lance une instruction d’après laquelle les fils des citoyens de nationalités non magyares doivent savoir parler le magyar après avoir passé par l’école primaire. L'article 27 de la loi de 1907'exige que tous les enfants sachent s'exprimer correctement, oralement et par écrit, après la quatrième classe de l'école primaire. La loi de 1913, à côté de Particle sur l’introduction des livres mayars à l’école primaire, exige des enfants qui fréquentent les écoles la connaissance complète de la langue magyare. C’est ainsi que les Magyars appliquent la loi des nationalités de 1868 dont ils se vantent avec tant d’ostentation devant l'Europe occidentale. Mais le comte Apponyi et ses successeurs sont allés plus loin encore. Sur la proposition du gouvernement hongrois, François Joseph a cupprimé, par le rescrit du 12 juillet 1919, l’autonomie serbe dans les affaires ecclésiastiques et scolaires, garantie par l’article 9 de 1868.

Les Serbes se sont opposés de toute leur énergie à ces violences. Le. juriste émi-

nent, le brillant. journaliste et l’ardent patriote serbe, M. Svétozar Milétitch, immédiatement après le compromis, avait organisé le parti national serbe et formulé dans le programme de Betchkérek (Banat, 1869), les revendications de son peuple en Hongrie. D'accord avec les Slovaques et jies Roumains, il demandait la réorganisation des comitats d’après les nationalités avec le libre emploi de leur langue pour cellesci dans les comitats où elles forment la majorité, la liberté de la presse e° de réunion, le remaniement des districts électoraux de manière à permettre une représentation

. équitable des diverses populations. Le mou-

vement de Milétitch se heurta à l’opposition violente des Magvars. Ils l’incarcérèrent comme traître dans la prison de Vals malgré son immunité parlementaire, et il nen sortit qu'après plusieurs années, ayant perdu la raison.

Le mouvement nationaliste ne disparut pas. La grande assemblée nationale serbe de Karlovci en 1897 formula avec précision les revendications du peuple: après avoir démenti les tendances séparatistes imputées aux Serbes, la réunion demanda le droit de développer sa civilisation propre conformément à la loi des nationalités. A ces revendications si modérées le gouvernement hongrois répondit par l'arrestation de diverses personnalités serbes, par de nombreux procès de presse, par la suppression des journaux d'opposition. La pression du gouvernement s'exerce avec une telle violence que toutes les nationalités non magyares n'ont pu, en 1910, faire élire que huit députés ! Au commencement de la guerre européenne, par ordre des autorités hongroises, presque tous les Serbes jouissant de quelque influence ont été arrêtés. Les prisons hongroises sont pleines d’intellectuels