La Serbie

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ce devait être désormais notre fonction essentielle de nous rappeler. C’est à nous de ramener sans cesse à la lumière ces Semaines longues comme l'éternité et qui portaient en germe un monde d'horreur et d'espoir. L’ultimatum de l'Autriche à la Serbie, le livre gris belge, tout est là. Ces deux documents restent les assises mêmes de notre jugement sur la guerre. Pour moi, j'en veux faire une des premières lectures de mes fils, dès qu'ils seront en âge de comprendre. Et peut-être deviendront-ils ainsi des artisans efficaces de la Société des Nations.

L'application d’une ordonnance magyare

Nous avons relevé récemment que le gouvernement hongrois a interdit la vente des biens immobiliers aux ressortissants non-magyars. Cette mesure tout à fait inconnue et inusitée dans les pays civilisés sert de moyen de magyarisation et de rerforcement de la race magyare.

L'Etat magyar a pu interdire l'emploi officiel des langues des peuples allogènes, la liberté de la presse et d'association, mais il ne pouvait pas interdire à ceux qui travaillent d'acquérir des terres. En conséquence, les peuples qui ne pouvaient se frayer un chemin dans la direction des affaires de l'Etat, se sont adonnés au travail, et, en un temps relativement court, ont fait des progrès notables au point de vue économique. Ainsi les Serbes de la Batchka et du Banat ont acquis de grandes propriétés foncières les achetant aux Magyars et même aux Allemands. Un journal magyar, le « Pesti Hirlap », relatait peu de mois avant la guerre qu’un danger serbe menace les Magyars de la Hongrie du Sud. L'inquiétude de ce journal a été augmentée par le fait que les Serbes refoulent même les Allemands, dont on jugeait pourtant la ténacité inattaquable en Hongrie. La même chose se passait avec plus d'envergure en Transylvanie, où les Roumains avançaient continuellement. Seulement dans les dernières années avant la guerre, un domaine d’une valeur de 60 millions de couronnes passait aux mains des Roumains. Pour les Magyars, les perspectives d'avenir ne paraissaient donc pas très sûres, surtout à cause de la grande émigration qui, de 19011913, atteignait le chiffre formidable de 1.550.209 citoyens hongrois, dont la majeure partie est restée à jamais en Amériqu£:

Pour parer à ces inconvénients qui menacent l'existence de « l'Etat millénaire magyar », les Magyars se sont résolus à la mesure la plus violente et la plus inhumaine, à l’expropriation des biens des non-Magyars.

Le journal magyar « Az Est », publie en effet dans son numéro du 20 décembre, un entrefilet intitulé: « La terre magyare ne peut pas passer aux mains roumaines. » Il y est dit ce qui suit: « Le gouvernement, comme on le sait, a émis une ordonnance suivant laquelle les terres ne peuvent être vendues en Transylvanie qu'avec l’autorisation d’une Délégation gouvernementale spéciale, D’après nos informations, c’est le premier cas où le délégué ait refusé d’autoriser une vente en vertu de la nouvelle ordonnance.

« Dans les alentours de Vajdahunyad,

LA SERBIE

est située la propriété de Louis Bucsi. Celui-ci, avec l’assentiment de sa famille, a voulu vendre sa propriété de 600 acres aux trois familles roumaines avec lesquelles il est tombé d’accord pour le prix. D'après la nouvelle ordonnance, le vendeur a dû annoncer la vente à la délégation gouvernementale, qui a refusé l'autorisation avec mention que le gouvernement s’oppose à ce qu’une propriété magyare passe aux mains des Roumains. En conséquence, le vendeur a demandé que le gouvernement soit l’acheteur de sa propriété.’ »

Voilà comment les Magyars comprennent l'égalité des citoyens devant les lois et la liberté !

Ce fait que nous relatons sera certainement plus éloquent que les dissertations humanitaires, dans lesquelles les Magyars excellent quand le moment l'exige. En tout

cas cette mesure sera une preuve éclatante”

de la situation lamentable des peuples de

Hongrie, qui souffrent de la tyrannie insu

portable des Magyars. LP;

Un article de M. H.-W. Steed sur l'Autriche

M. Henri Wickham Steed, ancien correspondant du « Times » à Vienne, actuellement directeur politique du grand journal anglais, a publié au cours de la guerre et dans différentes revues, une série d’articles sur le problème d’Autriche-Hongrie démontrant, arguments en main, que l’Europe démocratique et pacifique, l’Europe d’après guerre, n’a aucun intérêt à la conservation de la vieille Monarchie. Effort louable mais inutile, paraît-il. Plus on prouve que la monarchie des Habsbourg est le fief d’une dynastie et l'instrument d’une minorité austro-magyare pour servir les intérêts germaniques, plus les diplomates se rebiffent et ne peuvent pas vous pardonner une telle profanation ! Démembrer l’AutricheHongrie, quelle horreur !

Or, M. Steed vient de publier dans la « New Europe » (numéros des 3 et 11 janvier) un nouvel article vibrant et fort bien documenté sur l’Autriche et l’Europe. La place nous manque pour reproduire ici cet exposé synthétique du caractère véritable de la Monarchie qui fut toujours un danger pour la paix européenne. M. Steed'a surtout: insisté su. la politique. agressive,de l'Autriche envers la Serbie, politique qui a conduit directement à la guerre mondiale.

Les conclusions de l’éminent publiciste britannique sont vraiment suggestives : « On se demande souvent s’il ne serait pas injuste de démembrer l’Autriche et s’il ne serait pas possible d’utiliser la Monarchie comme un contrepoids à l'Allemagne. La réponse à cette question est bien simple: l'Autriche est déjà le vassal et la possession de l’Allemagne. Elle a été amenée, peu à peu, dans les mains de l’Allemagne. Et lorsqu'on veut sauver l'Autriche, qu'estce au juste que l’on veut sauver? Une dynastie, la maison des Hebsbourg, une administration, une diplomatie, une armée, parce que c’est de ces trois facteurs qu’est composée l’Autriche-Hongrie. » « La question, la seule question qui se pose à nous,

termine M. Steed, est celle-ci: Devons-.

LAS SR

nous, en recherchant la paix future en Europe, suivre les dynasties — dégénérées, sans scrupules, incapables, — ou avonsnous à soutenir les peuples qui luttent pour la liberté, qui sont nos amis, et dont le développement garantira leur sécurité et la

om Samedi 26: Janvier 1918 - No 4

nôtre ? À cette question, une seule réponse est possible: Nous devons assister les peuples de toutes nos forces, et, en les assistant, assurer la liberté de l'Europe pour toujours contre toute menace de la tyrannie des Hohenzollern ou Habsbourg ».

SE RE qe Les émigrés yougoslaves contre l'Autriche

— Une résolution à propos des

Le 15 janvier 1918 a eu lieu à Genève, dans la Salle communale de Plainpalais, une grande assemblée des émigrés yougoslaves d’Autriche-Hongrie en Suisse, sous la présidence du Dr. Iva Vessélinovitch. Après les discours prononcés par MM. Dr. Milovan Grba, Vladimir Fabiantchitch, Mehmed Tchichitch et Dr. Vessélinovitch, l’assemblée a voté à l’unanimité la résolution suivante : ï

« L'assemblée des émigrés yougoslaves d’Autriche-Hongrie en Suisse, qui eut lieu le 15 janvier 1918, à la suite du discours prononcé par le Premier de la Grande-Bretagne, M. Lloyd George, devant le Congrès des délégués des Trade-Unions à Westminster, le 5 courant, et à la suite du message du président des Etats-Unis, M. Wilson, du 9 courant, a décidé d’envoyer aux gouvernements et aux peuples de l’Entente l’appel suivant:

« Le peuple serbo-croate-slovène sous le joug de l’Autriche-Hongrie a fait, au cours de l’histoire, d'innombrables tentatives en vue d'obtenir la création d’un état de choses qui rendrait possible la vie nationale et le développement culturel dans le cadre de la monarchie des Habsbourg. L'orageuse année de 1848 a arraché aux détenteurs du pouvoir à Vienne certaines concessions répondant aux désirs et aux revendications de notre peuple. L'Empereur d'Autriche avait créé, par une lettre patente, la Voïvodina serbe autonome, de même qu’il avait garanti solennellement au Royaume de Croatie-Slavonie-Dalmatie une large autonomie, ou plus exactement qu’il lui avait assuré une vie demi-indépendante. Cependant, peu de temps après, en 1867, après la paix de Prague, lorsque le danger extérieur cessa de menacer l’existence de l’Autriche-Hongrie, toutes les promesses solennelles et tous les traités formels furent foulés aux pieds: la Voïvodina serbe fut abolie, la Croatie-Slavonie fut mise à la merci des Magyars; Fiume, qui faisait partie jusqu'alors de la Croatie, fut constituée en 1868 en « corpus separatum » de la couronne hongroise; la Dalmatie fut détachée de la Croatie-Slavonie, les pays slovènes furent morcelés en six provinces admidistratives. Nos frères en Bosnie-Herzégovine firent une expérience semblable. La violation des traités nationaux fut complétée en 1908 par celle des traités internationaux. Contrairement aux stipulations de l’article 25 du traité de Berlin, le gouvernement austro-hongrois annexa sans consultation du peuple et contre sa volonté, la Bosnie-Herzégovine.

Convaincu par les tristes expériences du passé de son peuple et des autres peuples subjugués par l’Autriche-Hongrie, en vertu desquelles il est incontestable que les diri-

discours Lloyd George-Wilson —

geants de la monarchie des Habsbourg ne pourront jamais embrasser durablement l’idée des droits des peuples et de la sainteté des traités conclus, convaincu que le système du gouvernement des AustroMagyars rend impossible tout progrès dans le cadre de la monarchie des Habsbourg, le peuple serbo-croate-slovène a choisi la

voie de la lutte à outrance pour son indé- _

pendance conmiplète: pour la rupture de tous les liens, étatiques et dynastiques, avec l’Autriche-Hongrie, pour son unité avec la Serbie et le Monténégro. Les manifestations de la veille de cette guerre, pour l’unité intégrale de notre peuple opprimé ou libre ; les légions de volontaires serbo-croates-slovènes formées d’anciens soldats et citoyens de l’Autriche-Hongrie qui ont combattu et qui combattent encore aujourd’hui côte à côte avec les soldats de l’'Entente contre leurs oppresseurs d'hier; les déclarations des représentants libres de notre peuple au Comité yougoslave — voilà autant de preuves qui expriment clairement cette ferme résolution.

Convaincue par les preuves irréfutables

de l’histoire de la monarchie des Habsbourg que même si les dirigeants de l’AutricheHongrie consentaient aujourd’hui, sous la pression de la guerre provoquée par eux de connivence avec les gouvernants de la Prusse, à donner aux peuples opprimés de l’Autriche-Hongrie certaines autonomies fictives, ils profiteraient de la première occasion favorable pour fouler aux pieds les traités et pour exposer l’Europe aux dangers de nouvelles guerres; sachant que tolérer l’existence de la monarchie des Habsbourg, même sous une forme modifiée, serait sanctionner un état de choses qui fut précisément la cause de la guerre actuelle ; sachant que cette tolérance favoriserait la germanisation et la magyarisation des peuples opprimés en Autriche-Hongrie ; sachant aussi que cette tolérance équivaudrait à la création d’un Mittel-Europa ultra-militariste, l'assemblée des émigrés serbo-croates-slovènes d’Autriche-Hongrie en Suisse invite les gouvernements et les peuples des Etats de l’Entente à considérer comme une demande de justice, comme une nécessité impérieuse de l’humanité civilisée et comme une condition d’une paix durable en Europe: la demande du peuple serbocroate-slovène d’Autriche-Hongrie de se libérer et de s’unir avec la Serbie et le Monténégro en un Etat unique, indépendant et démocratique, ainsi que le besoin de la formation des Etats nationaux et indépendants dans l’Europe centrale en vertu du droit des peuples de disposer d'eux-mêmes. » :

D RE D .

FEUILLETON

L'organisation politique de l'Etat yougoslave par À. H. E. Taylor

I

Il reste l’importante question concernant la forme du futur Etat yougoslave; les relations qui subsisteront entre les différentes provinces tellés que nous les connaissons aujourd'hui. C’est là une question dont un étranger ne saurait juger et qui dépend essentiellement d’une solution de politique intérieure. Il est en tout cas d'un bon augure

w'il n'existe, pas à cet égard, de projets dressés d’avance. La Lerbie laissera aux populations de ces territoires nouveaux le soin de choisir la forme de ces relations, elle n’essayera pas d'imposer par la force une solution préconçue. À Belgrade, a dit le professeur Cvijié à l’auteur de ces lignes, nous mavons point de politique à cet égard, mais uniquement des idées. Pourtant il est très important que cette affaire soit, à temps, pleinement considérée, afin qu’au moment de la décision les leaders de la nation soient à même de guider clairement le peuple. Il n’est pas non plus déplacé pour un étranger de considérer le problème, pour peu que la supposition soit exacte qu'un spectateur discerne plus clairement l’ensemble de la chose et que le fait d’être libre des influences locales conduise à un jugement impartial.

Il y a évidemment trois formes que ce nouvel Etat pourrait prendre: fédération des provinces déjà existantes, monarchie dualiste serbo-croate où royaume unitaire.

Il a beaucoup été question — et d’une façon plutôt vague — d’une future fédération yougoslave ; il peut donc paraître

utile de considérer le problème d’abord de ce point de vue. L'idée d’une fédération a été suggérée pour des Etats de toute espèce, comme remède contre des maux de toute nature, prenant rang de panacée seulement après la garantie d’une constitution du dernier modèle britannique. En partie, l'origine de cette idée pourrait être dans l'exemple des Etats-Unis, partiellement aussi dans l’insistance de notre problème impérialiste- qui, pour autant qu’il admette une Solution formelle, ne saurait être résolu que sur la base d'un système fédéral ou fédératif. Enfin elle peut aussi se rattacher à la formation de l'Empire germanique. Ceci a conduit à la considération théorique concernant la possibilité d'appliquer cette idée aux Etats qui, comme les EtatsUnis, recouvrent une grande superficie territoriale, ainsi qu'aux Etats peuplés par différentes races; cette dernière application a été suggérée directement par le succès de la Confédération helvétique. Quoi qu’il en soit, la tendance a existé d’appliquer cette idée un peu trop indistinctement aux Etats dont les conditions exigent impérieusement un système fédéral formel, et à d’autres Etats aussi qui manquent de cohésion intérieure; en Suisse cette dernière résulte principalement de la pression exercée par l’extérieur et de la situation de ce pays entre les grandes puissances. Des théoriciens, en particulier, ont conseillé d’appliquer ce système à la Péninsule balkanique en entier. Pour la formation d’un Etat fédéral un intérêt commun très développé est essentiel, car autrement il n’y a point de base sur laquelle on pourrait élever cet édifice. Si, d'un autre côté, les intérêts sont assez étroitement liés, et les conditions politiques, sociales et économiqnes pas par trop disparates, il y aura désir non pas d’un gouvernement fédéral, mais unitaire. Là est toute la différence entre un fédéralisme, façon d’unir sous un même gouvernement suprême des éléments qui sans cela resteraient séparés,

et le fait de l’employer pour diviser un peuple déjà uni; l'exemple d’un peuple réuni dans un Etat unitaire contre sa volonté constitue un troisième cas.

Si les intérêts ne sont pas étroitement communs, toute fédération est impossible, en conséquence l’idée d’une fédération balkanique est dénuée de réalité politique. C’est fort bien de dire que la péninsule balkanique constitue une unité géographique, qu’elle semble désignée par la nature même pour être le siège d’un puissant Etat unique et que les intérêts primordiaux des peuples qui l’habitent seraieni servis le mieux par une coopération cordiale dans les limites d’un Etat fédéral; mais si les peuples eux-mêmes ne désirent pas cette union, et si quelquesuns parmi eux ont même été des ennemis séculaires tous ces arguments tombent à l’eau. Ce serait bien pouf l’Europe si les Français et les Allemands, les Anglais et les Allemands pouvaient amicalement collaborer avec estime et sympathie, mais nous devons prendre le monde tel

qu’il est et la nature humaine telle que nous la trouvons.

La lutte séculaire entre la France et l'Empire a dans les Balkans, en plus petit, son pendant dans l’inimitié séculaire entre Serbes et Bulgares d’un côté, Grecs et Bulgares de l'autre. Il est absolument dangereux de vouloir, comme d’aucuns l'ont fait et le font encore, imposer une de ces solutions aux Balkans comme à une entité. D'abord cela n@ peut se faire, et ensuite si l’idée nous amène à proposer des mesures à adopter avec l’arrière-pensée d’une autre solution finale, qui n’est pas réalisable, le résultat ne sera nila solution idéale, ni la première venue, mais une série de mesures prises selon un plan qui se voit transformé paf

la suite dans quelque chose d'autre. Le professeur Free

man considère les Balkans comme un destiné À L pays prédestine , ne d'une fédération mana bidie male depuis qu'il a écrit Son livre, les anciennes discordes ont éclaté de

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