La Serbie

5 Samedi 9 Février 1918 - No 6

M. Klofatch accuse l’Autriche

A la Délégation autrichienne, à la commismission des Affaires étrangères, après le discours du comte Czernin, le délégué tchèque

Klofatch a prononcé un véritable réquisitoire

contre la Monarchie austro-hongroise, l’accugant d'avoir provoqué et prolongé la guerre pour des buts impérialistes :

« Le ministre des Affaires étrangères, a

déclaré M. Klofatch, n'a donné qu’une image tronquée de la lutte gigantesque de cette guerre mondiale, surtout en ce qui concerne les causes de la guerre. L’Autriche a été entratnée par l’Allemagne, qui a voulu avoir la domination mondiale. Cette guerre n'a pas été une guerre défensive, une guerre pour l'existence de la Monarchie, mais une guerre purement impérialiste, une guerre de conquête contre la Serbie, guerre qui devait en même temps exercer un effet pacificateur à l'égard de l'ennemi intérieur, les Slaves. Cela a été une guerre de conquête préparée d'avance et mise en scène conformément aux plans ger-

mano-austro-magyars, une guerre préventive.

contre la Russie, à l'insu et contre la volonté des peuples slaves et latins de la Monarchie. Une nouvelle preuve de la conception étroite de Czernin, c’est qu'il na pas proféré une seule parole en faveur du principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, principe qui ébranle le monde et qui le sauvera. Pour Czernin, cette question est simplement une question d'étiquette et de compétence. Czernin parle favorablement du programme pacifique de Wilson, mais ce qu'il dit perd toute valeur dès qu'il touche à la question du droit des peuples. Dans le passé, l'Autriche s’est immiscée très souvent dans les affaires intérieures des autres Etats, comme par exemple dans la question du sort de la population chrétienne

en Bosnie avant l'occupation, de même qu’en Macédoine, en Albanie, en Arménie, etc. Le peuple tchèque ne peut se fier aux négociants de Brest-Litowsk. Il aspire à une paix générale et non pas à ce que, une fois la paix signée avec la Russie, l’on transporte la guerre à l'ouest avec une atrocité pire et pour une durée de plusieurs années. Les Tchèques n'ont pas confiance dans la politique de Czernin.

Enfin, M. Klofatch demande au ministre « si, vu les déclarations officielles du président du Conseil bulgare, le ministre est prêt à soutenir, contrairement à sa formule d’une paix sans annexions les revendications bulgares, en ce qui concerne la Macédoine, la Dobroudja et surtout la Serbie méridionale, et si la Monarchie s’est engagée par des traités à soutenir ces revendications. »

Les Yougoslaves et les Tchèques contre M. Czernin

Après le discours du comte Czernin à la Délégation autrichienne, à la Commission des Affaires étrangères, le député Korosec (Yougoslave), a déposé une motion aux termes de laquelle « la commission doit manifester sa satisfaction de voir que la Monarchie, après de longues hésitations, s’est décidée enfin — au moins dans ses déclarations officielles — à renoncer à ses appétits annexionnistes antérieurs. Cependant, ce progrès sera d’une mince valeur pour la cause de la paix tant qu’existera l’ancien programme annexionniste, ouvertement avoué chez les Bulgares et dissimulé

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chez les Allemands. Seule une attitude énergique de la Monarchie à l'égard de ces appétits, pourrait montrer l'esprit pacifique absolu de la Monarchie. Une preuve nouvelle de ce dégrisement consiste dans le

fait que le comte Czernin voit dans le pro-

gramme pacifiste de Wilson une base acceptable pour un échange d'opinions avec les Etats-Unis. Les négociations pour la paix séparée avec la Russie ne présentent pas des garanties suffisantes pour la conclusion rapide de la paix générale. L'opposition à ce que les peuples de l’Autriche-Hongrie et dela Bosnie puissent déterminer eux-mêmes leur destinée constitue aujourd’hui le seul obstacle à la paix générale. Cependant, vu la situation alimentaire et la responsabilité grandissante qui en résulte, on peut s'attendre aussi dans ce sens à un dégrisement. C’est pour cela que dans ces moments graves, la commission rappelle au ministre et lui demande de déclarer ouvertement, que la Monarchie est prête, pour pouvoir conclure le plus rapidement la paix, à accorder aux peuples en Autriche-Hongrie le droit complet de disposer d'eux-mêmes et à permettre aux représentants de ces peuples de participer aux négociations pacifiques pour y formuler et établir le droit des peuples de disposer d'eux-mêmes. »

Après le discours du rapporteur Beck (de la Chambre des Seigneurs) on a passé au vote sur les motions de Miklas et de Korosec.

La motion de Miklas, qui demande la confiance pour le comte Czernin, a été acceptée par 14 voix contre 7.

Ont voté pour la confiance : les membres de la Chambre des Seigneurs, les chrétiens sociaux, les Allemands du Nationalverband, les Polonais et un Ukraïnien.

La motion de Koroëec a été repoussée par 15 voix contre 5.

Pour cette motion ont voté : Klofaë, Koro-'

$ec, Stransky, Tomasek et Udrzal. N’étaient pas présents: Cingria, Daszynski, Glombinski et Wassilko.

Le Dr. Koroëec a déposé sa motion comme le vote de la minorité destiné à être reproduit au procès verbal. me

* _*

Malgré les instances des députés tchèques, la résolution prise dernièrement au Congrès de Prague n’a pas pu être publiée, la censure s’y opposant. On peut cependant se faire une idée de ce qu’elle contenait d’après un télégramme de félicitations envoyé par le président du Club yougoslave, Koro$ec. D’après la « Hrvatska Dréava », du 18 janvier, ce télégramme est ainsi conçu:

« Dans la lutte pour le droit que soutient le peuple tchéco-slovaque, afin de disposer réellement de lui-même, ainsi que pour l'Etat tchéco-slovaque, le peuple tchécoslovaque trouvera un allié dans les Yougoslaves qui combattront côte à côte avec eux. Les Yougoslaves eux aussi ne reconnaissent pas au comte Czernin le droit de parler au nom des peuples slaves autrichiens, car il ne représente qu’une minorité privilégiée. Nous Vougoslaves, nous avons appris par nous-mêmes ce que l’Autriche entendait par le droit des peuples de disposer d'eux-mêmes ; nous avons senti aussi quels sont ceux qui veulent effectivement assurer les lois essentielles de l'Etat et

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garantir les citoyens dans leurs biens et dans leur sécurité. Nous désirons la paix, non pas une paix basée sur l’oppression des peuples, mais une paix fondée sur les principes démocratiques pour lesquels combattent des millions d'hommes. »

La magyarisation forcée à son appogée

Pendant que les délégués impériaux traitent de la paix avec les représentants de la Russie léninisée, l'oppression et la dénationalisation des peuples de race étrangère bat son plein en Hongrie.

Par la très démocratique volonté du nouveau gouvernement, le ministre de l’Instruction publique a ordonné la fermeture des écoles roumaines et serbes (les écoles slovaques n'existent plus) et a prescrit que désormais tout citoyen hongrois doit dès son jeune âge apprendre lé mazyar et oublier au plus tôt sa langue maternelle, dont «la connaiscance présente toujours un danger pour l'intégrité de la Hongrie millénaire ».

Le « Pesti Hirlap » du 27 décembre dernier annonce que le délégué spécial du ministre de l’Instruction publique, le baron Emil Horvath est arrivé en Transylvanie en vue de réorganiser les écoles limitrophes, de manière à ce que leur langue devienne exclusivement magyare. Le délégué a luimême précisé sa mission.

« Le devoir de la délégation gouvernementale — déclara le délégué — consiste dans l'établissement d’une zone appelée culturelle. Cela veut dire d’après la conception de grande envergure du ministre, que dans tous les départements limitrophes l’instruction doit être basée sur une éducation magyare et irréprochable au point de vue du loyalisme. Après l'exécution de ce programme il n’y aura dans les départements limitrophes aucune école à laquelle on pourrait reprocher un manque de patriotisme.

« Si nous réussissons à exécuter le programme, culturel grandiose du ministre Apponyi, alors les départements limitrophes pourront servir d'exemples aux autres parties de l'Etat en leur montrant comment il faut organiser l'instruction publique dans un Etat moderne. Il serait prématuré de fixer le nombre des écoles mais je puis dévoiler que le ministre a résolu d’organi-

ser 1600 écoles primaires et 800 écoles ma-

ternelles. » La fermeture de ces 1600 écoles roumaines sera un coup formidable au mal-

heureux peuple roumain dont le sort est

déjà partagé ou sera partagé par tous les peuples allogènes de la Hongrie.

Pour donner une idée de l'instruction publique en Hongrie, citons quelques chiffres de la statistique officielle hongroise de 1910.

En 1912-1913 (donc avant la guerre), il y avait en Hongrie 16,861 écoles primaires avec 34,574 instituteurs. Les écoles et les instituteurs étaient répartis suivant les nationalités : Ecoles magyares :

13.453 (79.8 /,) avec 29.247 (84:3 °/,) inst. » allemandes: 1.013 (

447 (2.70) 290) »

y

» slovaques: 337 (22%) » 601 (1.6°/,) » » roumaine: 2033(12.2 4%) » 2.813 (8.10/) » » gerbo-croales: 270 (12%) » 703 (214) » » autres: 22 » 131 »

I! faut noter que les écoles appartenant

aux nationalités sont entretenues par les fonds recueillis par les peuples allogènes et que l'Etat n'entretient que des écoles magyares.

Pour qu’on puisse juger plus facilement de l’énorme différence en faveur des Magyars, nous donnons ici les chiffres officiels — qui sont loin de répondre à la réalité de la population et le pourcentage.

(Dans ces chifires la Croatie-Slavonie n'entre pas). L

Magyars 9.944.627 5450, Allemands 1.903.357 10.4 ©}, Slovaques 1.946.537 10.7 °/, Roumains 2.948.186 16.1 °/, Serbo-Croates 629.169 3.610}; Ukraniens 424.774 2.5 0/0 Autres 353.008 2,2%,

Par rapport au nombre absolu 50,000 Slovaques ont une école primaire.

Et cet état misérable de l'instruction publique des nationalités paraît encore toujours dangereux aux Magyars, c’est pourquoi ils entreprennent de supprimer ouvertement tout ce qui n’est pas magyar.

C:

Pour une entente italo-yougoslave

— La lettre de M. Trumbic au « Secolo » —

Parmi les nombreux signes réjouissants d’un rapprochement toujours plus grand entre les Yougoslaves et les Italiens, il faut enregistrer aussi la lettre adressée par M. le Dr. A. Trumbié, président du Comité Yougoslave, à la rédaction du « Secolo » et publiée dans le numéro du 5 février de ce journal. Avec l’autorité que iui confère sa situation particulière, M. Trumbié, après avoir esquissé la nature des efforts yougoslaves, a constaté qu'entre les deux peuples, voisins et alliés dans le même idéal de liberté et d'indépendance, il n’existe pas de divergences réelles, mais plutôt des malentendus, créés et exploités par les ennemis communs. Et il a terminé en souhaïitant de voir tous les peuples opprimés et menacés par le péril germanique, réunis dans la lutte commune contre les puissances oppressives.

Le littoral yougoslave

— Une conférence du professeur Dedière —

M. le Dr Yevta Dedière, professeur de géographie à l'Université de Belgrade, a fait jeudi, le 7

février, à Genève, dans la grande salle de l’hôtel

de Londres, une conférence sur les pays yougoslaves du Littoral adriatique, La conférence fut d'autant plus intéressante que le conférencier a su traiter les questions scientifiques d'une façon simple et claire, accessible au public. Outre la nature de ces pays, le rôle qu'ils ont joué dans le développement culturel des autres pays yougoslaves est d'une grande importance. C'est le littoral yougoslave qui a reçu le premier les influences des diftérentes civilisations latines, pour les transmettre ensuite aux autres pays vougoslaves, et d’autre part, la civilisation yougoslave est très apparentée à la civilisation des différents peuples latins, comme d’ailleurs le peuple même est plus proche des peuples latins que n'importe quelle autre nation nonslave, par son caractère, par son tempérament, par ses mœurs et par son esprit démocratique.

Le conférencier a relevé en termes pittoresques les grands mérites de notre voisin, du noble peuple italien, pour la civilisation universelle. M. Dedière exprima ensuite ses vœux que les deux peuples amis et alliés s’entr'aident dans la grande lutte pour le principe de liberté et de démocratie, qui fut depuis toujours l'idée directrice du peuple yougoslave aussi bien que du peuple italien, et qu'ils unissent aussi sur le terrain politique devant le danger commun,

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l'Etat dans son ensemble; en tant que ne prévoyant pas la meilleure utilisation possible de la force de la nation dans ses éléments culturels ; en tant que dissipant, au lieu de la renforcer, la concentration de l'énergie nationale; en tant que plus coûteux et moins efficace; enfin en tant que de nature à affaiblir la situation internationale de la nation. La seconde forme qui pourrait être prise par l'union yougoslave est celle d’un Etat dualiste. Si la Serbie, la Bosnie, la Dalmatie du Sud, le Monténégro, la Syrmie avec les parties serbes de la Hongrie du sud étaient unis en un seul Etat, le résultat en serait un royaume dont la population serait en grande majorité serbe orthodoxe avec une minorité de Croates catholiques d'environ 10 pour cent du nombre des Serbes, comme le montrera un regard à la table de la section précédente. Si le reste des pays yougoslaves était formé en un autre Etat, la Croatie, le nord de la Dalmatie, l’Istrie orientale et le pays slovène ou telles parties de ceux-ci qui pourraient être laissées à leurs possesseurs naturels après que les appétits des autres auraient été satisfaits, le royaume qui en résulterait serait en grande majorité catholique croate et slovène. ‘Ces deux Etats pourraient être unis en une monarchie yougoslave dualiste sur une base étroite, plus étroite que celle de la monarchie actuelle des Habsbourg. L'idée, à première vue, n'est pas sans attraits. Un tel schema semble avoir été la base des propositions russes en 1915 et il fut soutenu par l’auteur de ce livre dans un article écrit à cette époque, mais une réfexion plus complète a considérablement modifié l'opinion invoquée alors. Les points qui au premier abord paraissent rendre désirable une telle solution parlent dans une large mesure contre elle. Les deux éléments de l'Etat seraient certainement très homogènes, mais il y aurait dans cette homogénéité même un danger pour l'unité future de l’ensemble. Le fait qu'une partie de la monarchie serait ortho-

doxe serbe et l’autre croate catholique, tendrait à donner une note plus aiguë à toutes les disputes entre les deux

parties et des désagréments pourraient même devenir un

certain antagonisme ou en tous cas une jalousie ; cela rendrait en un sens plus difficile les concessions de l’un à l’autre. Les vieilles distinctions entre ceux des Yougoslaves dont le passé historique a été lié à la fortune de la maison des Habsbourg et ceux dont le sort a été spécialement balkanique, seraient renouvelées et stéréotypées, et le résultat final pourrait constituer un danger pour l’unité durement gagnée de la race. Une telle solution n’exclurait pas évidemment une fusion future en un Etat unitaire et préserverait pour le moment la force intensive de chacun des royaumes. Ce fut le dernier argument, que les Serbes préserveraient leur solidarité qui a été leur grande force et éviterait de sacrifier l’intensif à l’extensif, qui influença d’abord l’auteur de ces lignes. La guerre a cependant forgé plus fortement encore les liens de la solidarité nationale, a indiqué avec encore plus de vivacité le danger de la désunion et les avantages de la fusion complète et on se demande si l'argument a encore le poids que l’on lui accordait. De plus en plus il est devenu évident que les différentes branches des Vougoslaves sont fondues en une réelle union même alors que la forme exacte n’en est pas fixée. L'expérience a montré les difficultés immenses qui s’attachent à la marche d’un système dualiste de gouvernement. Ni l’union personnelle (avec un ministère commun des affaires étrangères mais des armées séparées, etc.) de la Suède et de la Norvège, ni l'union plus étroite de l’Autriche et de la Hongrie, n’a donné de bons résultats politiques. Cela semble dans la nature même du système. Dans un système fédératif, l'opinion de la majorité sera composée de temps en temps de combinaisons variées d'Etats, mais dans un système dualiste, s’il surgit un désac-

cord, c’est nécessairement toujours entre les deux mêmes parties. Si l'un d'eux réussit habituellement à suivre Sa propre volonté, il en résultera pour l’autre un sentiment d’infériorité et de susceptibilité. Si, d'autre part, il y a une unanimité générale sur les matières les plus importantes, ou en tous cas une balance égale, alors le système dualiste semble contre-indiqué à moins qu’il ne soit demandé par des considérations et conditions locales dans les deux moitiés de l'Etat {.

La difficulté est naturellement d’autant plus grande quand il s’agit d’un véritable dualisme entre deux partenaires égaux et non d'une simple manière d'assurer un large coefficient de « self-government » local à une certaine partie d’un Etat autrement unitaire, car c’est précisément l'égalité qui est capable de faire que les citoyens observent avec des regards jaloux si cette égalité n’est pas violée.

En même temps, il n'y a pas en théorie de raison à ce que deux Etats, chacun s’occupant de ses propres affaires intérieures, ne se trouvent pas fondamentalement d'accord au sujet des grandes affaires communes à tous deux — l'armée, les affaires étrangères, la législation bancaire et commerciale — ni à ce que des divisions semblables à celles: qui peuvent exister sur ces matières ne soient pas des divisions affectant également les citoyens et les législateurs de chaque Etat, des divisions horizontales plutôt que verticales. Les arguments sont peut-être assez également balancés sauf en ce qui concerne l'avertissement que semble donner l’histoire, encore qu'il faille même ici rappeler que l’analogie historique est à la fois le plus facile et le plus dangereux argument — avertissement qui dépend d’une

1 J'entends qu’en théorie les deux moitiés peuvent avoir une opinion communè sur des sujets communs mais des opinions différentes sur des questions intérieures. Cette divergence cependant pourrait seulement surgir par suite de grandes différences dans les conditions locales. $