La Serbie

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LA SERBIE

pas permis même à un homme politique hongrois. Pour ce seigneur magyar, « l'unité » bulgare réalisée ainsi, n'aurait rien de choquant. Quant à l'unité serbe, italienne et roumaine, elles semblent ne point intéresser le futur chancelier austro-hongrois. Le comte Andrassy a pourtant daigné parler aussi de la. Serbie. Voici en quels termes il parle de notre pays: «nous ne revendiquons qu’une minuscule partie de l'ancienne Serbie. La reconstruction de l'Etat serbe, et cela en dépit de la défaite subie par les Serbes, ne forme pas non plus une condition inacceptable ». C’est la première fôis, à notre connaissance, que quelqu'un s’avise à parler de la défaite subie par les Serbes. Et cette pierre dans notre jardin nous vient encore de la part de notre voisin du nord, celui qui aurait le plus d'intérêt à se taire sur.ce sujet. En effet, on dirait que le comte Andrassy dormait d’un sommeil de mort pendant que notre armée infligea les deux fameuses raclées à la glorieuse armée de Potiorek. Il n’est pas dans nos habitudes de parler à tout propos de nos victoires ni des défaites de nos ennemis. Il est pourtant suffisamment connu que notre armée, au cours de la guerre actuelle, n’a jamais subi de défaite. Attaquée de trois côtés, trahie du quatrième, elle fut refoulée, mais jamais vraiment écrasée. Les Serbes ne connurent donc pas de défaites, hormis celles qu’ils infligèrent à leurs ennemis.

M. D. M.

Comment on administre la Serbie!

— Impressions d'un professeur autrichien —

La « Reichspost » du 17 janvier reproduit, d’après l’ « Oesterreichisch-Ungarische Kriegskorrespondenz », les impressions recueillies en Serbie occupée par le professeur d'université, Dr. Karl Brockhausen.

« S'il est permis, écrit Brockhausen, de comparer les tendances poursuivies par les trois Etats qui ont conquis la Serbie, on peut dire ce qui suit: Les Bulgares ont voulu avant tout s’assimiler la population qu'ils y ont trouvée, ils l’ont fait dans une large mesure; les Allemands ont poursuivi un but bien conçu de s’assurer certains objets de valeur durable qui leur sont très utiles. Ils ont par suite pris possession de ces objets et se les sont appropriés, tantôt, autant que cela était possible, d’une manière légale au moyen d’un contrat conclu avec leurs possesseurs antérieurs, tantôt par un fait accompli, « manu militari ». Nous Autrichiens, nous avons suivi une double politique qui s’est modifiée au cours de l’occupation. Pendant un certain temps nous avons administré le pays comme s’il devait rester toujours en notre possession. Nous n'avons épargné aucun effort et aucun capital et nous avons retiré de ce pays moins que nous y avions mis. Plus tard, notre politique s’est quelque peu modifiée : on a pensé davantage à notre arrière et on a utilisé à notre profit les matières premières ».

Il n’est pas difficile de comprendre le véritable sens de ces demi aveux officiels !

LES SOCIALISTES SERBES ET LA PAIX RUSSE

Le Comité Exécutif du partl socialiste serbe en France a adressé aux socialistes russes l'appel suivant: Tandis que la Serbie qui, pendant un siècle, a subi la terreur politique et économique de l'impérialisme austro-hongrois, cherchait dans la Russie telle qu’elle était et auprès des démocraties occidentales Ja protection de sa liberté, de son indépendance et la libération de nos frères soumis à la domination étrangère, — nous autres, socialistes serbes, étions le reflet de votre pensée, les admirateurs de votre enthousiasme et de votre esprit de sacrifice, les défenseurs de votre lutte sublime et vos modestes collaborateurs pour la victoire du socialisme dans les Balkans. Chacun des crimes du tzarisme contre les peuples russes a provoqué de vigoureuses démonst:àtions du prolétariat serbe; chacun de vos succès en Russie était célébré en Serbie

ar d’éclatantes manifestations ouvrières.

ous étions convaincus que la libération et le plein développement de notre nation démembrée et asservie ne peuvent être obtenus que grâce à nos propres efforts soutenus par une révolution russe victorieuse. Cette conviction était partagée par notre peuple tout entier. Celui-ci, en effet, considérait la chute du tzarisme et la victoire de la Révolution comme une des conditions de sa libération du terrorisme austro-hongrois et de l’asservissement au tzarisme. C'est pourquoi le prolétariat serbe a accueilli votre victoire avec une indicible joie, une joie encore plus grande que celle des socialistes d’autres pays. Tous les Serbes, Croates et Slovènes opprimés et persécutés ont éprouvé les mêmes sentiments.

Votre victoire signifiait pour nous le triomphe de la liberté sur l'esclavage: c'était l'aube de jours meilleurs, l’aurore du socialisme vainqueur.

Vos déclarations ont justifié notre espoir et notre confiance.

Vous avez proclamé que la démocratie révolutionnaire de Russie veut une paix générale basée sur des conditions que puissent accepter les ouvriers de tous les pays qui, n’aspirant pas au pillage, ne cherchent aucune conquête, qui sont également intéressés à la libre expression de la volonté de tous les peuples et à la défaite de l’impérialisme international. Ceux des nôtres qui appartiennent à la Serbie, ceux qu’opprime lAutriche-Hongrie ont souffert et souffrent encore à cause des Etats avides de conquêtes et de pillage. Victime de cet impérialisme conquérant et objet de pillages, notre peuple a applaudi à cette déclaration et il est prêt à employer ses dernières forces pour la réalisation de ces idées.

« Paix sans annexions ni contributions basée sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », cette formule parlait au cœur non seulement des socialistes de notre pays, mais à celui de tout notre peuple. Nous n’éprouvions aucune inquiétude quant au sens de cette formule, car nous connaissions vos idées. Nous savions que vous conceviez le droit des nations à disposer d’elles-mêmes comme le droit absolu de tous les peuples à leur indépendance, comme le droit des nations asservies de se

séparer de l'Etat oppresseur, de fonder une communauté politiquement et économique ment indépendante, sans maître ni à l’intérieur ni à l'extérieur, et de se fédérer, d’égale à égale, avec d’autres nations de son choix. Nous savions que votre formule signifie sans annexions anciennes et nouvelles. Vous avez lancé un manifeste invitant les peuples à conclure la paix générale, une paix démocratique basée sur le principe que toutes les nations ont le droit d’organiser leur vie nationale à leur volonté, en pleine liberté et indépendance. Les représentants de la diplomatie secrète, du militarisme prussien et du germanisme impérialiste, des barons allemands et des magnats magyars, des bourreaux des Arméniens et des serviteurs de Cobourg ont répondu à votre invitation. Ils sont venus, caressant l'espoir que, adversaires de la guerre et désireux de la paix, vous trahirez vos idées et accepterez une paix qui ferait triompher l’autocratie au détriment de la démocratie, une paix qui renforcerait le militarisme germanique et menacerait l’humanité de tomber sous sa domination atroce, qui sanctionnerait les conquêtes qu’ils ont faites et approuverait leur domination criminelle sur des nations étrangères, petites et faibles.

Vous qui les connaissez bien vous savez qu’une paix démocratique ne peut pas être conclue avec les ennemis de la démocratie, avec ceux qui oppriment tous les mouvements démocratiques de leur propre peuple et qui, en Allemagne, ont emprisonné des socialistes qui sont revenus au socialisme. Vous savez que la paix ne peut pas être fondée sur le principe du droit des peuples avec les représentants de l'impérialisme qui cherchent des conquêtes partout et avec les représentants des gouvernements qui oppriment des nations étrangères, avec ceux qui, en Autriche, ont refusé même de vous envoyer les élus des nations soumises à leur domination, bien que ces députés eussent réclamé au Parlement de Vienne de venir vous parler, déniant aux dirigeants le droit de faire la paix avec vous au nom des 29 millions de ressortissants des nations opprimées. :

Nous autres, socialistes de la Serbie occupée et de la Bosnie-Herzégovine subjuguée, avec le droit que nous donne notre constante fidélité aux principes du socialisme, le martyre et les sacrifices de notre nation yougoslave dans la lutte pour la liberté, nous vous adressons cet appel, à vous, socialistes russes. Nous vous demandons de ne pas traiter une paix séparée au détriment de la démocratie, du socialisme de l'humanité et de la Russie elle-même, et d'exiger de tous les belligérants que votre principe du droit des peuples soit appliqué partout où il y a des nations opprimnées.

Nous émettons le vœu que toutes les difficultés soient surmontées, pour que, fortifiée, la Révolution puisse prêter son aide puissante aux nations opprimées qui, malgré la dure réalité, continuent leur lutte, gardent la flamme révolutionnaire et espèrent que vous les aiderez, par votre force révolutionnaire, à se libérer du joug étranger.

EE

| Samedi 9 Février 1918 - No 6

——

De notre côté, nous vous déclarons qu'il n’y aura ni paix démocratique, ni organisa. tion stable des peuples des Balkans, ni dé. veloppement économique et démocratique tant que leur organisation ne se fondera pas sur les exigences suivantes:

jo Réalisation intégrale du principe du droit des peuples en général et, en ce qui concerne notre peuple serbo-croato-slovène, union de tous ses ressortissants, Sa liberté complète, son indépendance absolue, pour qu’il puisse, uni et libre, former la fédéra. tion républicaine avec des autres peuples libres des Balkans; : |

2o Opposition à toute conquête territoriale dans les Balkans de la part de n’importe quelle-grande puissance et sous n'importe quelle forme.

La convocation de la Skoupchtina

La Skoupchtina serbe vient d'être convoquée à

Corfou, pour le 12 février. Immédiatement après les discours de Lloyd George et de Wilson les parlementaires serbes s'étaient adressés au gouvernement demandant de convoquer l'Assemblée Nationale et de lui fournir des renseignements nécessaires sur la sttuation politique. Devant les formules un peu vagues sur les intentions de l'Angleterre et de l'Amérique par rapport à l'Autriche-Hongrie, les députés serbes de tous les partis ont ressenti encore davantage le besoin de voir le parlement de Serbie remplir ses fonctions constitutionnelles et aider le gouvernement dans le travail à la libération et l'union de tout le peuple serbo-croate-slovène. Le gouvernement serbe s’est empressé de satisfaire à cette demande, d'œtant plus que le parlement serbe n'avait été réuni depuis plus d'une année, une anomalie que seule la situation anormale du pays, envahi presqu'en entier, et utilisant un territoire emprunté, peut expliquer et excuser.

La Skoupchtina serbe se réunit en un moment particulièrement difficiles. S'il n'y avait que la défection russe, cela seul suffirait à démontrer la gravité de la situation de notre pays, trahi et déçu dans ses convictions les plus profondes et les plus sacrées, Mais il y a aussi d'autres difficultés que l'anarchie et la trahison russes, et auxquelles le parlement doit préter toute son attention. Dans les discussions entamées sur les modalités de la patx, des esprits généreux sans doute et parfaitement de bonne foi, mais naïfs et crédules dans leurs jugements polittques, paraissent être disposés à envisager des solutions capables de porter un coup mortel à l'unité nafionale serbe. C'est un danger autrement grave ef

de

CE ET Re

Do italne di Sntre 26e

auquel la Skoupchtina aura à s'intéresser tout par-

ficulièrement. En insistant sur la nécessité absolue de l'affranchissement intégral du peuple serbo-croateslovène de toute domination étrangère, le parlement serbe démontrera encore une fois l'attachement et la Jidélité à la cause alliée qui est la sienne, et prouvera que la Serbie, aujourd'hui plus que jamais, est consciente non seulement de ses devoirs mais aussi de ses droits.

Le parlement aura aussi à résoudre quelques questions d'ordre intérieur rentrant dans sa compétence, Si, à cette occasion, il se prononce pour un remaniement du ministère actuel afin d'y faire entrer ausst

les représentants des autres partis politiques, ce

changement n'impliquera aucune variation dans la politique serbe : elle a toujours été nationale e elle le restera.

ES

=== FEUILLETON

L'organisation politique de l'Etat yougoslave par À. H. E, Taylor

Il

Il apparaît que la forme la plus lâche de confédération n’est pas invoquée dans le cas yougoslave par les nécessités qui font de cette forme la meilleure. Le territoire des Yougoslaves n’est pas assez étendu pour exiger la division de son espace en vue de commodités administratives; il n’est pas non plus habité par des races diverses, ni par des populations qui ont possédé depuis longtemps une autonomie intérieure complète qu’ils pourraient abandonner à regret. Pour les raisons déjà citées, il ne semble pas non plus

re qu'il soit nécessaire de recourir à la forme plus étroite de S S scontédération dont le Canada offre un modèle. Le plus S & 2 Brand argument en faveur du système fédératif intervient pagd il sert à unir ceux qui, pour des raisons nationales siques, ne peuvent pas se réunir volontairement ou ablement en un Etat unitaire. L'un des avantages du

Fo fédéral est la combinaison de l'unité natio-

À ñ

E

£ gn fort patriotisme local, tandis que l'exercice pue rgement local étendu donne une éducation poliË o Far e à un grand nombre de citoyens. De l’autre . Lattes wi Le san medSre le cas du Staatenbund. Un exemple du S Jaeeer ana o® s'expose à cet égard fut offert par la disC eestre S ÉUnis et le Japon au sujet de la légis5 SRE la Californie. Des plaintes adres-

| oS 2u, Gotrvêr mel

ts fédéral provoquèrent la réponse Q D

gentral tend à être faible aux extrêmes,

que cette matière était de la compétence de la souveraineté de l'Etat de Californie, et que le pouvoir exécutif central ne possédait pas de droit corëcitif en cette affaire réponse qui fit surgir le mot d'esprit que les Etats-Unis devraient plutôt être appelés les Etats-Désunis. Le problème prit les plus sérieuses proportions. Si le pouvoir central n'avait pas de sympathie envers la législation en question, contre qui y avail-il recours? Si les Japonais avaient recouru à l’ultima ratio contre la Californie, les autorités fédérales auraient-elles pu rester à l'écart? Sinon la roue de l'argument diplomatique tourne sur place. Même l'organisation plus étroite du Canada n’a pas préservé le gouvernement du Dominion de problèmes semblables non moins sérieux. Un système fédératif pour les Yougoslaves pourrait tendre à perpétuer le particularisme local des différentes provinces, et la race a tant souffert dans le passé de ses divisions intestines que tout homme d'Etat yougoslave devrait être prudent à l’extrême avant de faire appel à un système qui perpétuerait ou exalterait des divisions analogues dans l'avenir, et ils devraient être sur leurs gardes contre les attractions superficielles du fédéralisme.

Les amères mésaventures qui ont fait de l’histoire de la race une tragédie séculaire et son morcellement actuel en juridictions différentes ont conduit à un désir prédominant d’une unité réelle et sans équivoque. On doit rappeler aussi que la Skoupchtina ne serait pas chargée des soucis d’un empire étendu, tandis que le vice de la sur-centralisation ne demande pas, pour être évité, un système fédératif complètement développé. « Un gouvernement fédératif signifie un gouvernement faible. Une fédération sera donc toujours un désavantage dans un conflit avec des Etats unitaires aux ressources équivalentes !. »

1 À, V, Dicey, op. cit., p. 162-163,

Les Yougoslaves ne sont pas en de circonstances telles qu’ils puissent négliger un élément quelconque de force: après la guerre, ils seront affrontés par des voisins jaloux, aux dépens desquels leur unité aura été achevée, et plus ils seront forts, plus ils seront en mesure non seulement de maintenir leur propre position, mais de préserver la paix dans leur coin du monde. L’attention a été attirée sur les différents niveaux de culture atteints par les diverses divisions territoriales des Yougoslaves, mais cette considéra-

tion plaide plutôt en faveur d'un gouvernement unitaire,

puisque, avec un système fédératif, les différentes provinces pourraient être gouvernées sous des systèmes variés de pratique administrative, à moins que le personnel administratif actuel dans les provinces les plus retardées ne fût aidé par celui des provinces plus développées. Dans ce cas cependant, l’argument en faveur de la fédération semblerait pro tanto en défaut car il resterait encore un niveau varié de compétence législative. Les ressources de l’ensemble devraient plutôt être affectées au développement de l'ensemble. De l’autre côté, un système fédératif accompagné des freins qui sont présents dans la constitution américaine assure une certaine stabilité et continuité de politique !. On ne Sait pas cependant jusqu’à quel point ce système de freins pourrait être transplanté.

Au total donc la balance des arguments est décidément contre un système fédératif pour les Yougoslaves, en tant qu'inutile, non exigé par l'étendue du territoire de leur pays, ni par la diversité des éléments ethniques, ni par le régime politique passé dans les provinces, en tant qu'il

comporte le danger particulariste: en tant que de nature à.

être accompagné par un système varié de pratique légis-

lative et administrative qui serait une grande faiblesse pour À

Voir Lecky « Démocratie et Liberté », ind. p. 53 et suiv.

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