La Serbie

EE CC 1 RE LA SERBIE

Samedi 23 Mars 1918 — No 12

La situation économique de la Serbie à la veille de la catastrophe

Les dommages causés directement par la guerre et par l'occupation par Kosta STOYANOVITCH, ancien Ministre du Commerce serbe

Comme nous l'avions déjà dit précédemment, le théâtre de guerre S’étendait le long de la Save, du Danube et de la Drina, c’est-à-dire que les opérations se déroulaient dans les contrées Les plus fertiles de la Serbie,

Les dommages directs qui devront être réparés proviennent du bombartlement de la capitale et de nos plus riches centres urbains. Fn admet. ant que la valeur totale de toujes les villes de la zone de guerre élait de 700 à 800 millions de francs, les dommages causés par les bombardements doivent monter jusqu'à notre retraite, à 400 millions de francs au moins.

Lors de la retraite tous les moyens de transports furent démolis. Nous avons évalué déjà à 200 millions de francs la valeur de toutes les entreprises de transports. Par “conséquent, les dommages causés à la suite de la retraite doivent être estimés à 50 millions de francs pour le moins, Notre navigation sur la Save: et sur le Danube fut complétement anéantie au commencement même des opérations de guerre. Sa valeur est de 6 millions de francs.

_ Les dépôts de ravitaillement et «le vêtements, tout Je matériel de guerre acheté à l'étranger où fabriqué dans le pays sont tombés entre les mains de l’envahisseur et leur valeur monte à 500 millions de francs. Les pertes en armes et em autres matériels militaires, subies pen: dant ka retraite y sont comprises. Notre retraite par l’Albanie et le manque de routes ont rendu absolument impossible tout sauvetage de vivres et de matériel de guerre. ;

Si nous admeltons que loute la récolte fût termänée et qu'elle représemtât la moitié des revenus en temps normal, la valeur de cette récolte alors fut de 700 millions de francs; plus des 4/5 ont été réquisitionnés ou pris le force par les Bulgares ou Autrichiens, ce qui fait 560 à 600 millions de francs. Quand mous sercus de retour, nous reirouverons celte somme en p&pier-monnaie austro-bulgare.

Les chiffres cilés. ci-dessus montent à une.somme de plus de 1.500 millions de francs. Cela ne représente que les dommages causés directement par l'occupation du pays. Si nous y ajoutons la contribution imposée à la population restée en Serbie el qui atteignait dans la première

année 150 - millions de francs, alors le total des pertes est porté ainsi à 1.700 millions tle francs.

Les ennemis occupent le pays depuis plus de deux ans. Connaissant leurs méthodes te sabotage ces instruments industriels et d'organisation du pillage, méthodes appliquées en Serbie déjà au mois de novembre 1914 en Belgique et en Palogne, nous pouvons compiler avec certitude que le déficit du pays se trouvera encore augmenté. Bien que le stock de notre bélail ait été réduit à cause de la guerre, il atteignait quan même avant l'invasion ennemie la valeur de 606 millions de francs, y compris la valeur du bétail des nouveaux départements. La pénurie des Puissances centrales causée par le blocus iera réduire notre stock de bétail de moitié au moins ce qui représente une perte de 300 milons de francs. La dévastation de nos forêts diminuera la valeur de ce capital de 200 millions de francs. Les établissements économiques &'Etat seront complétement anéantis, ainsi: les tabriques du Monopole d'Etat (tabac, allumettes, etc.) les usines de Kragouiévats, Niche, Tchoupria, etc; les pépinières, “les écoles, lés bibliothèques et autres acquisitions culturales semblables. En appréciant seulement les dommages malériels, cela représente une perle de 150 millions de francs ,

Si nous considérons que les biens mobiliers

en dehors de Ia capitale, «dans les villes le long de la Save, du Danube, .et de la Drina, et les instruments de métiers et d'agriculture valent, selon le tableau donné ailleurs, 400 millions de francs et si nous admettons que le sabotage et la détérioration est de 25 0%, nous avons là une perte de 100 millions de francs, Nous avons déjà dit que le capital engagé dans les métiers et l'industrie est de 260 millions «le francs ; si nous comptous que le sabotage et la détérioration est de 600), alors les dommages sont ke 160 millions de francs. Le total des dommages exposés ici est de 910 à 1000 millions de francs environ. UE

Ainsi les dommages directs atteignent un chiffre ictal de 2700 millions de francs.

Il

Pour l'entretien dé la population réfugiée à l'étranger et de la population restée &n Serbie au déportée par l'ennemi, le budget «le la Serbiq à l'étranger se monte à 240 millions de francs. L'entretien de fnotre armée n'est pas à la charge de ce budget, Après avoir été complétement équipée, notre armée est entretenue aux frais de nos alliés.

L'armée et la population réfugiée se chiffrent à 150.000 personnes. La population déportée et utilisée pour les travaux où pour la ligne, est de 500.000 personnes. Selon les statistiques austrohongroises, il ne reste dans le pays que 2.800.000 d'habitants à peine. Donc le déficit en populalion est depuis 1914 jusqu'au milieu de 1917, Ua 1.206.000 personnes. Si 400000 de ce chiliré retournent dans le pays, nous aurons un déficit de 800.000 personnes. La guerre avec toutes $es conséquences, les maladies et la famine, à fait pénr 1/5 de la population totale de la Serbie,

S1 nous admettons qu'il est nécessaire d'assurer, pour les dites pertes en population l'existence aux 100.000 foyers par voie de pension d'invalides, alors, en prenant la pension la plus petile, nous devons trouver dans notre nouveau budget des ressources pour 60 millions de francs, cestà-dire nous devons avoir un capital de 1.000 millions de francs qui produira, à compter 60%o d'intérêt, le revenu de 60 millions de franes. Tout cela devra être payé par l'ennemi vaincu, car toutes ces terribles conséquences proviennent de la manière barbare de faire la guerre dont se sont rendues coupables les Puissances cenfhales et leurs alliés.

Les dommages directs et à 3, milliards de francs.

si l'on acceptait la stupide formule «sans imgiemnités», alors la Serbie devrait sortir de cette guerre avec. un déficit en capital et en forces de travail de 3,7 milliards de franes et avec une dette de 1.200 millions de francs contractée au cours de la guerre. La Serbie, humiliée, malheureuse et appauvrie, sans parler des conséquences morales, devrait ainsi retourner dans son pays dévasté, délivré et déshonoré, ave un déticit de 4500 à 5.000 millions de francs! Gela équivaudrait à une réduction de moitié de la valeur économique qu’elle avait avant la guerre.

Pour que la Serbie soit remise en l'état où elle se trouvait avant la guerre, il lui faudrait, au cas où elle ne serait pas indemnisée, lune période c'e trente ans pour que sa populalion atteigne de nouveau 4.200.000 habitants. Pour rétablir Les biens anéantis de la Serbie, il faudrait avoir 2.100 millions de francs et la Serbie a cependant une nouvelle dette de 1.200 millions “e francs. S1 l'on fournissait à la Serbie les meilleures conditions et l'argent nécessaire, il lui faudrait 2,00 à 3.000 millions de francs pour les anciennes et nouvelles dettes, 2.700 à 3.000 millions de iranes pour la réparation des biens \étruits,

indirects montent

ce qui fait en tout 6.000 millions de francs.

Si la Serbie obtenait cette somme à 40% d’intérêt et d'amortissement, il lui faudrait 240 millions de francs par année rien que pour le paiement des dettes. Cependant notre budget était, à la veille de la guerre, de 230 mil lion; de francs. IL est facile de constater toute Labsurdité du cas où la Serbie devrait payer 240 millions pour les deites | Si nous y ajouions 60 millions de francs pour les pensions d'invalides, nous verrons que l'économie du pays tout entière ne serait pas en mesure de couvrir les paiements des dettes et «les pensions d’invalides. S1 nous prenons encore en considération la grande valeur qu'aura la monnaie après la guerre, quand le taux de l'intérêt sera de 7 % pour %s emprunts d'Etat et 10 Oopour les dettes privées, il est facile de concevoir qu'il est impossible pour des pays comme la Serbie ou la Belgique de se rétablir sans indemnité.

"Si. nous tenons comple de l'épuisement 6conomique ect des efforts financiers des autres Contécs sur lesquelles la Serbie pose ses prétenlions justifiées, alors l'état de dommages est plus vaste et l'idée se fait plus claire quil nous est impossible de sortir de celte guerre sans être indemnisés. La réparation des dommages déjà mentionnés, l'agrandissement de la Serbie et l'acceptation des conditions nécessaires à son, développement économique et politique indépendant, seront en mesure de réparer aussi les dommages que nous n'avons pas pu indiquer ni apprécier ici car leur critère n’est pas l'argent ni la quantité: ils sont d'ordre psychologique et moral /

Note. Pour l'établissement des richesses de la Serbie, des indemnités demandées et pour l'appréciation, des efforts, nous avons pris les prix normaux qui élaient avant la guerre. Si l'on tient compte des prix de guerre pour le bétail et l'alimentation, de la hausse de la valeur de Ja monnaie, etc, car la diminution de la production, et l'augmentation de la consommation sont la cause des prix inouïs, alors les chiffres en question changent considérablement; quelques-uns doublent, mais la plupart devront être augmentés de 50 à 600%. Si l'on prend en considération le fait qu'après la guerre les prix, tout em commençant à baisser, ne descendront pas si vite au niveau où ils se trouvaient avant la guerre, mais qu'ils seront quand même plus élevés de 10, 20 et même 50%; alors les chitfres d'indemnisation idonnés ici devint être auementés dans la même proportion. Les (rois éléments de l'agriculture ect de l'industrie: le bétail, le fer et la main-d'œuvre, ainsi que les capitaux de circulation ou engagés, seront toujours, très longtemps après la guerre, plus demandés qu'oïferts. La cherté de ces éléments maintiendra au cours de longues années un prix élevé de tous les objets. En conséquence, il faudra augmenter les chiffres d'indemnisation ci-mentionnés dans une forte proportion.

Grèce et Serbie

M. le professeur Reiss écrit de Salonique à la Gujeffe de Lausanne :

Les Serbes ont la mentalité des braves gens. qu'ils sont. Ils ne sont pas rancuniers. Et puis ils sont sentimentaux. Aussilôt qu'ils voient que quelqu'un a du chagrin, ils sympathisent avec lui. Les Grecs, regrettant sincèrement ce qui était arrivé, leur sont redevenus sympathiques, surtout depuis que, de plus en plus, «les troupes. hellènes partent pour le front pour reconquérir avec eux la Macédoine serbe et grecque et pour chasser ensuite l'ennemi cruel du sol sacré de la Choumadia, du Timok, de la Morava, etc, Le

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“approchement s'est fait petit à petit et c'est précisément ce qui garantit sa durée.

La semaine passée, il s'est produit un événement qui a scellé définitivement l'amitié retrouvée entre Serbes et Grecs. Le jeune roi Alexandre de Grèce est venu à Salonique et a visité, avec le prince régent de Serbie, le front serbe. Ce Jeune moi, fils de Constantin, a suscité à son avènement bien des inquiétudes. Ce jeune homme ‘he suivrait-il pas les traces de son père? La réalité a donné, heureusement, un démenti formel à ces craintes. Alexandre, après quelques semaines d'un désarroi compréhensible, nature: même, & compris la situation. et son devoir envers un peuple dont le destin l’a fait roi. Il a fait 6ienne la conception de la Grèce de Venizelos. Comme ce dernier, il estime que le premier devoir de son pays est de réparer le mal qu’il à fait à la Serbie.

Dans de telles conditions, l’entrevue des deux chefs d'Etat ne pouvait être que cordiale. Elle le fut. Le roi Alexandre a trouvé en le prince Alexandre non seulement un allié, mais aussi un ami qui comprend fort bien la situation délicate dans laquelle le sort l'a placé. Les Serbes, et en premier lieu le prince régent, savent apprécier la position prise par ce souverain se ralliant franchement à la politique serbo-allisphile de Venizelos et condamnant carrément la conduite fourbe de son père.

Le roi Alexandre a vu maintenant les troupes serbes sur le front. Il en a certainement remporté la conviction qu'avec de tels alliés, qui rebâtiront leur maison dévastée par l'ennemi commun, la Grèce pourra tranquillement envisager l'avenir. Les Serbes, de leur côté, ont été contents de retrouver un ancien ami. Plus que Jamais, après celte guerre, les sorts de la Serbie et de la Grèce seront liés ensemble. Les événements ont montré qu'on ne peut pas défaire l'une sans donner un coup mortel à l’autre. Les dirigeants des deux pays ont compris la lecon et l'énorme faute de la Grèce ne se répètera plus.

Une interview du ministre de Serbie à Berne

M. le Dr Grouitch, ministre de Serbie à Berne, a accordé à un rédacteur de Ja « Neue Zürcher Zeitung » (voir le numéro du 13 mars, édition du matin) une interview sur lattitude de la Serbie. M. Grouitch a d’abord constaté que malgré les changements opérés à l'Est, el la, situation vraiment difficile de la Serbie, le peuple serbe ne songe pas à abandonner la lutte. Bien au contraire, l’arrivée récente de nouvelles formations des volontaires yougoslaves à Salonique démontre une fois de plus la volonté inébranlable de la Serbie de tenir jusqu'à la victoire.

La crise gouvernementale actuelle, à expliqué M. Grouitch, est de nature purement interne. Elle a été provoquée par lopposition, probablement dans le désir d’amener la constitution d’un cabinet de coalition, formé die représentants de tous Les partis politiques. Mais quel qu'il soit le successeur de M. Pachitch au pouvoir, Pattitude du pays au dehors restera la mênre : la coopération immuable avec nos grands alliés' dans la lutte pour 1 aréalisation de notre unité nalionale.

Avis aux lecteurs

Avec le présent numéro, serà grafuitement distribué à chaque abonné ou acheteur le sommaire de «lsa Serbie» pour 1917.

EE

nitives… Soit : on les fera sortir plus tard d’études nouvelles, archives de Vienne et de Budapest. En attendant, ce ne sont pas les matériaux qui feraient défaut à cette réunion pour élaborer au moins une construction d'attente, et. si elle y apportait la foi,

sinon même peut-être des

elle aurait une belle tâche à remplir. »

JE. PICHON.

Un article de M. Wendel sur Île Monténégro

Sous le titre: « La Serbie et le Monténégro », la revue

socialiste « Die Glocke » a publie dans le numéro 89 du

29 décembre 1917 un article bien documenté de M. HerDans l'introduction sur les Yougoslaves dans les

mann Wendel, député au Reichstag. M. Wendel s’est exprimé

termes suivants :

« Quand le manifeste du comité hotlando-scandinave À Stockholm expose aussi parmi les projets de réorganisation. ie et du Monténégro, ‘il

énonce simplement ume véri ié évidente par elle-même, car c’est pour ainsi dire un simple jeu des hasards hisboriques qui a fait que jusqu'à présent deux territoires purement serbes aient existé côte à côle comme des Etats D'ailleurs, là désignation des différentes populations yougoslaves comme Serbes, Monténégrins, Bosniaques. Herzégoviens, .Croates, Slovènes el Dalmates contribue beaucoup à induire en erreur; ce n'est pas autre chose que si l’on vouait larler toujours, Francs, Hessois, S Saxons, ete. Si l’idée panslave peut être facilement ridiculisée, grâce au fait qu'au congrès panslave de Prague, en 1848, les participants durent se servir uniquement,

de l’Europe, l'union de la Serbie

séparés et indépendants.

Allemands, de Souabes.

d’Attila et du khan Kroum!

au dieu Frisons,

pour se comprendre, de la langue allemande, la force vive de l’idée sud slave est déjà prouvée par le fait frue dans les rues de Lioubliana et de Gettigné, de Zagreb et de Belgrade, de Sarajevo et de Sofia — bref de l'Istrie à la Mer Noire — on n'emploie que des modalités d’umia seule et même langue. Mais tandis que les Croates et les Serbes, bien qu'ils scient frères de race, diffèrent cependant les uns des autres par la geligion, l'écriture et les traditions historiques, en revanche les Serbes et les Monténégrins sont comme une paire de jumeaux. »

Serbes et Bulgares

Les Serbes étaient la seule puissance balkanique au moment de l'invasion turque dans les Balkans. Ce furent les Serbes et non pas les Bulgares qui, vaillämment miais sans succès, défendirent la Macédoine contre les Turcs. Les Serbes et non ‘pas les Bulgares livrèrent aux Turcs la fameuse bataille de Kossovo (1839) qui a mis

fin à l'indépendance de la Serbie pour des siècles entiers. La Serbie a suecombé alors, mais elle a succombé dans la gloire, tandis que les Bulgares se rendirent aux Turcs sans résistance. Celui qui doute de l’impartialité de cette constatalion, doit lire le chapitre que l'Histoire du Monde Œd'Ullstein y consacre, chapitre dû à la plume du célèbre professeur slavisie à PUniversité de Berlin, Brücknier. Les Serbes s’affranchirent les premiers du joug turc, out seuls, tandis que les Bulgares furent délivrés par les Russes. Pendant l'esclavage turc, les Bulgares restaient

dans le plus profond sommeil, tandis que les Serbes chan-

taient, même dans cette période effroyaible, leurs poèmes épiques, qui ont émerveillé un Goœthe. Quiconque connaît l'histoire serbe, sait fort bien que les Li

Serbes ressusciteront de nouveau. É

Un collaborateur de la « Freie Zeitung » qui signe « Gracchus» a parlé dans le numéro 17 de ce journal (27 février dernier), des différences entre Serbes et Bulgares. J1 constate le fait caractéristique que dans lantipathie contre les Bulgares tous les autres peuples balkaniques sont d'accord: Grecs, Serbes, Rommain$s et même Turcs. Les Bulgares se présentent au monde comme des Slaves, mais selon une conception intuitive de leurs voisins balkaniques ils seraient restés des Touraniens. Et le jour vint où eux-mêmes se déclarèrent Touraniens, les Boris et Siméon s’effacèrent pour faire place à la mémoire

publié.

Une nouvelle publication du professeur Reiss

M. R.-A. Reiss, professeur à l'Université de Lausanne, bien connu du public européen par ses nombreux travaux, est arrivé à Corfou. Le professeur Reiss a voué toute son activité à la constatation des atrocités ennemies et est resté avec l’armée serbe depuis le commencement de la guerre. Ses nombreuses publications et son livre sur « Les atrocités autrichiennes en Serbie », ont dévoilé toute la barbarie des conquérants. Nous apprenons que le résumé du rapport du professeur Reiss sur « Les infractions aux dois de guerre et d'humanité commises par l'ennemi sur le front de Salonique» est terminé et sera prochainement

Société Genevoise d’Editions et d'Impressions. — Genève