La Serbie
RUE, on.
FX [lme Année. — No 31
RÉDACTION ét ADMINISTRATION @, rue du XXXI Décembre - Genève Téléphone 14.0
Paraissant tous'les Samedis Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à l’Université de Belgrade
Genève, Samedi 24 Août 1918
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Londres, juillet 1918.
Au cours du grand meeting tenu récemment
yfondres, en l'honneur des Yougoslaves, et
dont « La Serbie » a déjà rendu compte, plusieurs orateurs ont proclamé les sentiments d'admiration et de chaude sympathie qu'éprouve la nation anglaise pour le peuple serbe, dont l'héroïsme légéndaire n'a succombé que sous le poids du nombre — et grâce à la mauvaise foi bulgare.
Ces sentiments, tout le monde les ressent en Angleterre, et j'ai eu l'occasion de constater, au cours de mon séjour, que toutes les classes de la population professent, à l'égard d'un allié malheureux, la même estime et la même affection. Toutefois, il m'a été donné de remarquer également que l'importance et la signification du problème yougoslave ne sont pas toujours pleinement appréciées par l'opinion — j'entends par ceux qui la forment, et souvent la déforment : hommes d'Etat, journalistes, financiers, etc. L
Les uns et les autres paraissent méconnaitre parfois cette vérité essentielle, que le problème serbe, ou d’une manière plus générale, le problème yougoslave ne peut et ne doit pas recevoir une solution partielle, sous peine d'éxposer à nouveau les Balkans et l'Europe à des conflits armés. Que la seule chance d'établir un régime de paix durable soit d'accorder à tous les Yougoslaves une indépendance absolue et l'union étatique qu'ils réclament — voilà qui ne semble pas toujours évident à certains cercles britanniques. Réparations, indemnités, garanties — chacun reconnait qu'elles sont indispensables, mais au lieu de poser nettement la question du démembrement_ de l’AutricheHongrie, au feu de considérer la réunion des Serbes, Croates et Slovènes comme une des bases indispensables du statut futur de l'Europe, on préfère ne pas se prononcer catégoriquement. On ne prend pas position. On emploie des termes très généraux. On semble envisager des solutions mixtes, incapables pourtant d'offrir aux Yougoslaves les satisfactions légitimes qu'ils attendent du traité de paix.
D'où vient cette tendance à préférer une cote mal taillée au règlement qui s'impose logiquement et l’on peut dire moralement ?
D'où vient que, souvent en Angleterre, vous entendez parler différemment de la question polonaise, par exemple, et de‘la question yougoslave? Cette divergence d'appréciation se manifeste jusque dans les déclarations officielles des Alliés au sujet des peuples opprimés par la monarchie danubienne. Quelle en est la raison ?
C'est d'abord que la question polonaise pour conserver l'exemple choisi — est infiniment mieux connue en Angleterre que la question yougoslave. Et cela s'explique aisément : Tout manuel d'histoire consacre de longs chapitres aux vicissitudes de la Pologne et condamne son démembrement. Aucun livre ne raconte aux écoliers — ni même à leurs parents! — l'admirable histoire de la lutte serbe pour l'indépendance ; aucun livre ne renseigne suffisamment le public anglais sur le caractère du peuple serbe, sur ses institutions actuelles — dont le caractère démocratique serait cependant fait pour séduire la mentalité britannique, Ainsi s'établit tout naturellement, dans l'esprit de chacun, une distinction entre la nation polonaise et la nation yougoslave. On n'aperçoit pas, du moins pas assez nettement, l'identité de leurs aspirations et l'équivalence de leurs droits à l'indépendance.
la Grande-Bretagne
C'est ensuite que la théorie — néfaste selon nous — de la conservation de l’Autriche-Hongrie a toujours éveillé, dans certains milieux
anglais, une sympathie, une indulgence injusti-
fiées. Il ne m'appartient pas d'en rechercher les raisons, qui sont multiples et souvent contradictoires, mais le fait est que cette sympathie et cette indulgence agissent fortement sur une partie de l'opinion, et que leur action est directement contraire au succès de la cause yougoslave.
Mais une autre question se pose. Comment lutter contre ces tendances, partielles sans doute, mais qu’on ne saurait cependant négliger? Comment détruire cette idée fausse que le problème yougoslave est un problème de second plan, que sa solution est accessoire, que des (arrangements » pourraient intervenir ? Le seul moyen me parait être de ne rien négliger pour renseigner abondamment le public anglais, d’une part, sur l'étendue et la puissance du mouvement yougoslave en AutricheHongrie, et d'autre part, sur le danger qu'offrirait, pour la sécurité de l'Europe entiere, une politique de ménagements systématiques envers la Monarchie comme envers la Bulgarie.
De ces deux faits si évidents, il semble que chacun devrait être persuadé, après quatre ans de guerre. La politique de l’Autriche-Hongrie, à l'égard des nationalités, parle d'elle-même. Mais il est certaines vérités élémentaires qu'il est indispensable de répéter sans cesse. Elles finiront bien par faire leur chemin. La GrandeBretagne qui est entrée en guerre pour le salut des petits peuples, se doit d'assurer aux Yougoslaves la réalisation de leur ardent désir d'indépendance. Il ne faut pas douter qu'en dépit des erreurs et des manœuvres de quelques-uns, l'Angleterre, à l'heure du règlement de comptes, saura imposer à l’Autriche-Hongrie — au prix de la disparition de cet édifice lézardé la même reconnaissance des droits primordiaux des peuples que l’on exigera de l'Allemagne vaincue,. Marc Dufaux.
La Serbie et la Bohème
M. E. Benes, secrétaire général du Conseil National des Pays Tchèques, a reçu la lettre suivante :
Monsieur le Secrélaire Général,
En vous accusant réception de votre lettre à da date du 5 courant, je m'empresse de vous transmettre la Joie du Gouvernement Royal de Serbie de voir les efforts du Conseil National des Pays Tchèques et Slovaques couronnés de succès. La Serbie salue avec enthousiasme la proclamation, fes droits de votre nation À l'indépendance par le Gouvernement de la République Française, ainsi que par ceux des EtafsUnis d'Amérique et de la Grande-Bretagne, non seulement parce que votre noble nation à mérité cette reconnaissance depuis longtemps, ayant toujours, par -sonesprit. démocratique et ‘par les wertus civiques de ges fils, combattu les welléités germaniques de domination et d'asservissement du monde, mais aussi parce que vous avez mené cette lutte À vie et à mort en plein accord avec nos frères yougoslaves soumis au joug des Habsbourg, et qu'avec eux les Tchèques et les Slovaques ont payé l'espoir de meilleurs jours par un marlyre sans pareil {dans l'Histoire du monde. Fe
Unies par le sang versé sur les champs de bataïlle aux Démocraties libres, alliées pour la défense du Droit et de la Justice, nos deux nations sœurs pourront se vouer À la fin de celte guerre émancipatrice à l'œuvre du Progrès et de la Civilisation, et former des membres de la nouvelle Société des Nations, digne de nos grands et généreux Alliés, digne aussi des fiobles sacrifices généreusement consentis dans cette lutte gigantesque par les meilleurs fils du genre humain. ; .
Heureux de pouvoir être l'interprète de ces sentiments de mion gouvernement, je profité de celte occasion, Monsieur le Secrétaire (Général, peur vous assurer de ma considération la plus distinguée et fraternellement dévouée.
Paris, le 7 juillet 1918. ! VESNITCH,
Ministre de Serbie,
(Les espoirs de nos ennemis )
ou en quoi espèrent les Bulgares
Tel est le titre d’un article publié par l'« Echo
datbulgarie » le 20 juillet dernier et que nous
ténons à enregistrer comme un produit nouveau de la psychologie bulgare. « Les ennemis des Bulgares, écrit l'officieux de Sofia, ce sont les Serbes, les Grecs et les Roumains.
« ST nous n'avions pas èw maille à partir avec eux, nous ne serions jamais intervenus dans la guerre mondiale. Alliés contre nous ils se ruèrent sur nous en 1913 et célébrèrent solennellement &:Bucarest notre défaite.
(ls se rendent parfaitement compte que si les grandes puissances, leurs alliées, ne cessent de nous porter quelque respect cela provient de la conscience qu'on a de la puissance que nous avons manifestée sur les divers fronts et de la vigueur dont nous faisons preuve dans la déJénse du front sud. Aussi tous leurs efforts ontils pour objectif unique de compromettre cette puissance tant aux yeux de leurs alliés que des nôtres. Ils sont profondément convaincus qu'après la prise de position de la Bulgarie aux côtés de l'Allemagne, Anglais, Français et
Italiens ne peuvent négliger les intérêts serbes, grecs:et roumains pour ménager les Bulgares et que jamais ces intérêts ne seraient lésés pour nous faire plaisir, mais, au contraire, Ce sont bien les nôtres qu'on sacrifierait.
Ce sont là les espoirs dont se laissent berner nos ennemis, ) à
Ainsi, d’après ce journal, les Bulgares seraient certains que les Alliés les ménageraïent, qu'ils léseraient même les intérêts serbes, grecs et roumains, pour faire plaisir aux Bulgares, et que nous ne devrions pas nous laisser berner par d’autres espoirs !
Que c'est chic d’être Bulgares, se diront sans doute nos lecteurs. Partout où ils regardent, partout ils rencontrent des sympathies et de l'estime ! Ils n’y a que ces sauvages serbes, grecs et roumains qui s’attaquent continuellement aux bons Bulgares, à cette perle des perles des races. disons humaines parce que les savants bulgares ne sont pas encore au clair à quelle race faut-il rattacher leur peuple. Cela dépend aussi de la victoire, naturellement !
“La seule issue ” de M. Zenker
Nous avons parlé dans notre dernier numéro du projet Zenker concernant la Yougéslavie. M. Zenker ne s'oppose pas en effet à l’union des Croates et Serbes — des Shvènes il n'en parle pas — mais. il y met la condition que tous les Yougoslaves restent dans le cadre de la Monarchie. Même les deux Etats serbes libres, la Serbie et le Montenegro, devraient, selon Zenker, entrer dans la communauté austro-hongroise, M. Zenker vient d'émettre maintenant un plan encore plus vaste. Dans le « Berliner Tageblatt» du 9 août il a fait quelques constatations qui confirment tout ce que nous écrivons ici depuis l'apparition de notre journal et que les Slaves d’Autriche-Hongrie ont répété mille fois, à savoir qu'il existe en Europe une question d’Autriche- Hongrie, et que la vieille Monarchie traverse une crise qui n’est ni parlementaire ni gouvernementale, mais une crise d'Etat. Voici ce que M. Zenker dit à ce sujet :
« Le nœud de la question, c’est qu'aucun gouvernement ne peut résoudre ce problème autrichien ni ne le réseudra quand
même ce gouvernement serait aussi résolu |
que possible à bien faire ; ear il ne s’agit pas d'un problème gouvernemental, mais d'un problème de peuples. Aucun individu, fütil un Bismark, un Cavour où un: Gladstone, n’est capable de tracer le plan de la future Autriche, car ce plan ne saurait sortir que d'un simple accord entre les peuples qui forment l'Autriche. Aussi est-on nécessairement condamné à échouer dans toute tentative qui consiste à édifier la nouvelle Autriche en partant de l'Autriche centralisée d’anjourd’hui. Les expériences trés riches et très tristes que l’on à faites avec des essais de ce genre, nous enseignent que les divergences existentes ne font qu’augmenter par l'application de telles méthodes. Les fils de l’entente, à peine repris, se trouvent rompus au bout de peu de temps et les aspirations nationales des peuples croissent, ce qui fait que la Monarchie au lieu de s'approcher du but désiré, s'en éloigne toujours davantage ! »
M. V. Zenker, après avoir fait ces cons-
tatations vraiment instructives et que tous les austrophiles, alliés et neutres, ne devraient pas perdre de vue, surtout M. William Martin, rédacteur au Journal de Genève, le défenseur acharné d’une Autriche. réorganisée d’en häut, a développé ensuite son plan de transformation de la Monarchie dualiste en une confédération d'Etats indépendants. C’est la première fois, que nous sachions, qu'un personnage politique allemand reconnait avec franchise que l’Autriche ancienne a vécu et qu’il n’y a pas d’autre solution pour prolonger son existence que de la transformer et de la reconstruire sur d’autres bases. Voilà en quoi consiste son projet qui, s’il était réalisable, pourrait être pris au sérieux.
« Le seul moyen de conserver la paix igtérieure au milieu de tous ces bruits de guerre c’est d'arriver à une entente de peuple à peuple sur la base du droit de chacun de disposer librement de son sort, n’ayant d'autre limite que l'existence de l'Autriche comme maison commune dans laquelle tous ces peuples unis par la paix et par l’assistance mutuelle continueraient à vivre et à se développer. Au moment où tous les peuples d'Autriche, les Allemands non exceptés, auraient déclaré qu'ils ne désirent autre chose que le droit de libre disposition dans l'Etat commun, qu'ils renoncent à toute domination sur les autres peuples ou sur une partie quelconque de ces peuples — une déclaration qui devrait recevoir la sanetion de la couronne — à ce moment on aurait la base commune et positive sur laquelle on pourrait entrer immédiatement en pourparlers et qui, pour autant que je suis renseigné sur les sentiments dans les différents camps nationaux, serait acceptable pour tous. De cette façon, on aurait obtenu quelque chose qui, jusqu’à présent, sur la base du statu quo, paraissait impossible à réaliser : à amener les différents peuples à causer entre-eux sur leur avenir commun. »
M. Zenker demande pour l’État commun uniquement les aflaires concernant la défense extérieure, la politique extérieure, la politique commerciale et financière, les communications, la législation civile et