La Serbie

Ilme Année. — Ne 39

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La Confédération balkanique et la Bulgarie

Dans le « Journal de Genève » du 260 septembre, No 261, M. Antoine Davidoff, au nom de la démocratie bulgare, jusquelà complètement inconnue au monde, recommande aux peuples balkaniques la fédération, comme unique moyen de salut, Il yinvite aussi les Allemands, mais ne daigne pas mentionner les Serbes, Croates et Slovènes de l'Autriche, ni pour les incorporer à cette future Confédération, ni pour les unir à la Serbie et au Monténégro: ce qui prouve qu'il ne désire pas leur libération intégrale, Cela n’est pas fait pour nous inspirer de la confiance: nous, y voyons plutôt un piège tendu par la Rulgarie, afin que celle-ci réalise son hégémonie dans les Balkans. La siluation dans les pays voisins, aussi bien matérielle que morale, est telle que M. Davidoff devrait comprendre que cet appel vient trop tard — jou trop 4ôt Trop tard, car ik aurait dû venir avant l'agression bulgare contre la Serbie, en automne 1915, lorsque la jeunesse universitaire bulgare de Genève partit avec enthousiasme à la « guerre sainte », pour empêcher les deux Etats indépendants du peuple serbe, la Serbie et le Monténégro, d'achever la libération des Serbes, Croates et Slovènes, Le peuple bulgare préféra alors devenir l'instrument de Mackensen que de risquer de voir la Serbie plus grande dans es Balkans que la Bulgarie, Et par cela même cet appel vient aussi beaucoup trop tôt, (ant que Serbes, Grecs et Roumains ne sont pas tout à fait assurés des Bulgares. Ces trois nations étaient -disposées à faire des concessions à la Bulgarie, mais celle-ci préféra leur plonger le poignard dans le dos, qué de voir réalisée, au moyen de ces concessions, une alliance défensive contre 1e « Drang nach Osten ». Les voisins de la Bulgarie savent trop bien comment elte sait manquer à sa parole, pour qu'ils puissent se fier à ses offres, C’est de l’honneur que dépend la valeur des nations aussi bien que des particuliers, et M. Davidoff fait vraïiment tort au tsar Ferdinand en lui ätribuant à lui tout seul la responsabilité de l'agression du 29 juin 1913. Non pas que je veuille faire son éloge, mais il faut reconnaître que sa mentalité a été en harmonie avec celle du peuple qu'il gouvernait, L'agression qui déclencha la deuxième guerre balkanique a été voulue par l'état-major bulgare, présidé par Savoff, et quant aux leaders de l'opposition, Ghenadieff et Radoslavoff, ils menacèrent Ferdinand de le détrôner S'il n’attaquait pas les Serbes et les Grecs. Le minisfre+ président Daneff consentit à tout cela, car il avaît promis à l’Autriche-Hongrie, lors de sa visite à Budapest, en octobre 1914, que la Bulgarie romprait son ‘traité avec la Serbie et la Grèce, dès qu'elle aurait fait la paix avec la Turquie, Ayant refusé la proposition de Vénizélos de partager les territoires libérés des Tures en ploportion des sacrifices faits par chaque nation, la Bulgarie se tourna contre ises alliées, pour mieux satisfaire son avidité de conquêtes «et, en même ‘temps, pour se délier de l'engagement pris envers da Serbie de la secourir avec 200.000. soldats en: Cas d'une agression austro-hongroise.

La Bulgarie étant la première qui par son refus d'accepter l'arbitrage prévu dans le traité serbo-bulgare ait introduit dans les relations internationales des EEMpS M0 dernes l’idée du « chiffon de papier », la faute principale du traité de Bucarest de 1913 a été de ne pas l'avoir châtiée de façon à lui faire perdre l'envie pour au moins cinquante ans de répéter ces pror cédés. C’est: la. Russie qui lui “épargna cette leçon, ne voulant pas connaître la mentalité mégalomane des Bulgares, comme la connaissent ceux qui ont le malheur d'être Jeurs voisins. Et pourtant la Russie aurait dû se souvenir le la méthode de chantage employée Par: les Bulgares en 1859 déjà, Lorsqu'ils lui demandèrent de leur faire obtenir l'exarchal, sinon jls se convertiraient au catholicisme, En ce temps-là, il n'y avait pas de Ferdinand dont on aurait pu faire un bouc expiatoire en cas d’insuccès, Mais ils réussissaient longtemps, Si la Russie a essuye un échec au Congrès de Berlin, ce me fut pas aux dépens ‘de la Bulgarie —

: démocrates bulgares y veulent

peur laquelle les Bulgares eux-mêmes ne savaient pas encore lutter avec cet acharnement qu'ils dévelppèrent plus tard Contre leurs voisins — maïs en ce qui La \Bosnie-Herzésovine fut livrée à l'occupation austro-hongroïse, ce qui rendit inulile le sang versé par la Serbie et ‘le Monttnégro pour la libération de ce pays. Il fallait que les Bulgares eux-mêmes dégrisassent la petite mère Russie de ses illusions bulgarophiles, en 1a chassant de l’embouchure du Danube, pour y établir, en vrais complices du « Drang nach 'Osten », les Allemands et des Turcs, sous prétexte d'un « condominium » sur la Dobroudia roumaine, En ce qui concerne la Serbie, l'agression de 1915 eut lPapprobation non seulement de lopinion publique bulgare, mais aussi celle de M. Ghéchioff, considéré comiie le seul Bulgare à qui l'idée d’une Confédération balkanique tînt au cœur, Et cette agression était d'autant plus odieuse, que les pays serbes, la Serbie et le Münténégro, étaient alors les seuls défenseurs, dans les Balkans, du principe, si ‘cher

aujourd’hui aux démocrates bulgares, « les

Balkans aux nations balkaniques ».

Mais (si M. Dawidoff n'est ‘instruit des événements actue!s que d’une manière fort exclusive, il pourrait àu moins être un peu mieux informé ‘de certaines choses lrès éloignées de toute paSSion chauviniste et calmement racontées, même dans des livres de classe, I1 dit que c’est contra les Bulgares que les Byzantins ont appelé

‘les Turcs. Or, déjà les troupes des deux

Anti-césars, Jean V Paléologue et Jean VI Cantacuzène, étaient composées en grande partie de ’Lures, qui se hattaient ainsi les uns contre les autres sous des drapeaux byzantins, Un peu plus tard, au cours de célle même guerre civile, Cantacuzène fut sauvé par les troupes dun émir Mure, Naturellement, les Turcs en profitèrent pour prendre pied èn Eumpe, sur la pétite péninsule de Kaïlipolis, en 1353: et comme Cantacuzène s'était brouillé avec le grand tsar serbe Stephan Douchan, ils commencèrent à se battre aussi contre

les Serbes, Les Bulgares n'y ont joué qu’un.

rôle secondaire, {Voir Krumbacher-Gelzer, Geschichte der byzantinischen Litteratur:. p. 1058, et Jiretchek, Geschichte der Serbern. div. IV, chap. 53). ‘

En ce qui concerne la pauvre humanité. ni M. Davidoff ni les autres démocrates bulgares n’ont aucun droit de parler en son nom, tant qu'ils miont pas exprimé leur indignation de ce que la nation bul-

_gare entière, et non pas le Esar Ferdinand

fait en Serbie, pendant ces d'occupation,

Quant aux proposilions à faire, c'est sans daute à la Serbie qui s’est sacrifiée, fidèle à ses alliées, dans la lutte contre le « Drang nach Osten», que doit incomber le droit de donner son avis sur la meilleure manière d’entraver à l'avenir le susdit « Drang'». Si M. Davidoff et les autres : contribuer quelque chose, qu'ils s'appliquent donc à élever une génération de Buigares Ccapables de devenir hiennêétes voisins, avant de sembarquer danis des appels en faveur d'une fraternité balkanique.

lout seul, a {rois années

Milovan GRBA, docteur en philosophie.

Un appel de M. V. Chiroll

Sir Valentine Chiroll, un des premiers promoteurs du Serbian Relief Fund en 1914, vient de lancer dans le «Times» du-9 octobre ‘uni appel pressant en faveur de la population nécessileuse de Serbie, qui em ce moment a besoin de secours urgents de toute nature: articles de première nécessité et médicaments. Sir Chiroll rappelle la conduite héroïque des Serbes et cite les témoignages de Mme et Mile Christitch, qui sont venues dernièrement de la Serbie occupée

et qui connaissent exactement la situalion triste

et désolante de la population serbe. Y |

Nous{ remertions Sir V. Chiroll de son initiative généreuse et nous sommes certains que notre peuple n'oubliera jamais sa générosité.

Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à |

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JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

sité de Belgrade

Genève, Lundi 21 Octobre 1918

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ABONNEMENT }

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Ga diplomatie autrichienne et les relations ifalo-yougoslaves

La diplomatie austro-magyare appartiendra biéntôot à l’histoire. Le comte Burian attend totours une réponse du Président Wilson à sa note de paix, mais l’Amérique ne se presse pas de la donner. L’Autriché Hongrie a en effet vécu, et quoi d'étonnant alors que le Département politique à Washington expédie les notes ducomte Burian au panier ! La Monarchie des Habsbourg récolte en somme ce qu’elle a semé, et il est certain que sa disparition ne sera regrettée nulle part. Il n’y a que les diplomates autrichiens qui en seront froissés et quine comprendront pas pourquoi tous ces « bouleversements » embarrassants et, selon eux, parfaitemênt iuutiles. Un ancien ambassadeur austrohongrois, le baron Macchio, nous fournit un exemple typique de cette mentalité arriérée et perfide en même temps qui a toujours distingué les diplomates de Vienne. Dans un article consacré àux relations italo-yougoslaves (1 Neue Freie Presse » du 22 septembre) le baron Macchio, abandonnant la thèse préférée autrichienne sur le danger italien pour les Serbo-Croates et Slovènes, en reprend un autre, dans le sens inverse, celle du danger yougoslave pour l'Italie! M. Macchio plaint l'Italie qu’elle soit obligéé d'accorder dux Yougoslaves la. co-possession au mare nostrum. J! trouve que l'Italie possède en Serbes et Grecs des ennemis plus dangereux que n'étaient les Austro-GermanoMagyars. Si les Serbo-Croates et Slovènes arrivent à se réunir en un Etat indépendant, ce

serait, selon lui, la fin de la politique orientale

de l'Italie. Et voici, teatuellement, ce quece diplomate triplicien dit des Alliés italiens :

« À quoi cela sert-il à l'Italie de voir la Monarchie rejetée de l'Adriatique si elle est obligée de contribuer à la formation de nouveaux Etats avec lesquels elle deora partager la domination dans l’Adriatique. On voit aujourd’hui, où la haine aveugle peut conduire ur pays, et l'on constate en même temps, avec quelle perfidie l'Italie est serrée par ses nouveaux amis et Comment ils cherchent à lui couper toute possibilité de développement et de réalisation de sa politique extérieure. »

Pour bien comprendre ce nouveau {on dans les sphères autrichiennes, il ne faut pas perdre de vue qu'il n’est que la conséquence directe de la volonté inébranlable des Yougoslaves de rompre définitivement avec les Habsbourg ef de réaliser, avec la Serbie et le Monténégro, ur Etat yougoslaoe libre et démocratique, en dehors de toute combinaison avec l'Autriche-Hongrie. L'Autriche essayerait maintenant l'intrigue vnverse, spéculant sur la rivalité italo-yougoslave, mais là aussi elle arrive trop tard. Les résolutions adoptées à Campidoglio et la reconnaïissance officielle récente de la Yougoslavie par le gouvernement italien, ont tué dans l'œuf l'intrigue du baron Macchio. Il ne reste à la diplomatie austro-magyare que de se résigner à son sort. Sie transit gioria austriaca !

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A progos d'une critique inamicale

Il n'est ni facile ni agréable de répondre aux amis surtout lorsque leurs reproches manquent de clarté et de précision. Les critiques formulées par la New Europe et reprises en partie aussi par le Times nous obligent cependant à faire des réserves les plus formelles et les plus catégoriques au sujet des affirmations malheureuses publiées dernièrement par ces journaux.

Les critiques de la New Europe ne datent pas d'hier. Dans son numéro 40, du 19 juillet de l’année passée, la New Europe avait vivement pris à parti le gouvernement serbe, l'accusant de ne pas déployer assez d'energie dans la défense de notre nation. « Le prince, régent, écrivait la New Europe, a, en effet proclamé la réalisation de l'idéal yougoslave comme le but suprême de la guerre, mais son gouvernement n’a jamais placé franchement ce but de guerre devant les Alliés comme étant le programme national serbe. Il a hésité, marchande, ergote, mettant les amis de la Serbie et les partisans d'un arrangement européen durable dans la situation peu enviable de paraître plus serbes que les Serbes eux-mêmes. » À cette critique, notre collaborateur Politicus avait répondu dans La Serbie du 19 août par un article intitulé « Un reproche injustifié » et dans lequel il a fait les constatations suivantes :

« Depuis le commencement de la guerre jusqu'à aujourd’hui, le gouvernement serbe, appuyé par la couronne, par le parlement et par l'opinion publique de la nation tout entière, s’en est tenu au programme de la délivrance et de l'unité intégrale de notre peuple unique à trois noms. Laà-dessus, jamais, nous le répétons — jamais il n'y eut et il n'y aura jamais d'hésitations, encore moins de marchandage ou d'ergotage. C'est le programme de notre peuple entier formulé par le gouvernement serbe à plusieurs reprises. C'est en vue de ce but suprême que le peuple serbe a sacrifié presque tout et le gouvernement

serbe, sur lequel pèse la lourde responsabilité de la politique nationale poursuivie fidèlement dans les jours les plus sombres de notre histoire, ne devrait pas être accusé de faiblesse dans une question où il a montré uniquement de la fermeté et de la consistance. »

IL est à remarquer que la critique de la /Vew Europe tombait au moment où le gouvernement serbe et le Comité yougoslave avaient déjà termine leurs conversations et rédige la fameuse déclaration de Corfou, ce que la Vew Europe ne pouvait pas ignorer.

En août dernier, donc une année plus tard, la New Europe revient à la charge, avec des critiques non moins véhémentes. Malgré l'évidence même, la rédaction de la MVew Europe parlait cette fois d’un « choix » devant lequel la Serbie serait placée dans sa politique nationale ; et elle accusait en outre le gouvernement serbe de ne pas suivre la politique formulée par la déclaration de Corfou. Elle accordait même l'hospitalité aux articles ayant trait à notre politique intérieure et devant pourtant être relégués au second plan. Dans La Serbie du 14 septembre dernier, nous avons répondu aux critiques de la New Europe et nous avons établi : |. que la Serbie ne se trouve devant aucun (choix » et que sa politique nationale, en plein accord avec sa mission historique, vise, depuis bien longtemps, la delivrance intégrale de tous les Serbo-Croates et Slovènes et leur union avec la Serbie et le Monténégro en un Etat indépendant; 2. que la Serbie ne songe nullement à se départir de ce programme national qui a trouvé son expression dans la Déclaration de Corfou et qu'elle reste fidèle à cette déclaration qu'elle considère comme la plateforme de notre union nationale. Dans ce sens, le gouvernement serbe insiste encore aujourd'hui auprès des Alliés sur la reconnaissance de l'unité et de l'indépendance yougoslaves.

La New Europe a reçu d'autre part une réponse bien documentée de M. Stoyan Protitch, mais elle ne semble pas du tout satisfaite des

SM