La Serbie

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Prix du Numéro : 10 Centimes

Genève, Lundi 20 Janvier 1919

POLITIQUE HEBDOMADAIRE Paraissant tous les Lundis Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à l'Université de Belgrade

RÉDACTION et ADMINISTRATION ‘ ; és, rue du XEXI Décembre - Geneve Téléphone 14.05

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ABONNEMENT }

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Proclamation du prince -régent

L'union des Serbes, Croates et Slovènes devant le parlement de Serbie

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À mon peuple: aux Serbes, Croates et

Slovènes !

Nous avons vu arriver le jour heureux de notre délivrance et de notre libre union en un Etat national indépendant où notre nation va vivre sa pleine vie, sans entrave, en jouissant des dons que la main généreuse de Dieu a si largement distribués à notre patrie.

Le vœu que toutes nos générations ont consacré, qu’elles ont sanctifié de leur sang pendant des siècles entiers et sans relâche s’est téalisé par la décision unanime des plus dignes réprésentants du peuple. A haute voix a été proclamée l'union de toutes les parties morcelées de notre patrie, en royaume unifaire. Par la volonté du peuple, mon auguste père, Sa Majesté le roi Pierre a été appelé à régner sur ce royaume comme roi de tous Îles Serbes, Croates et Slovènes et moi, exerçant le pourvoir royal en son nom, j'ai procédé, d'accord avec les chefs et les mandataires de tous les partis du peuple des Serbes, Croates et Slovènes, à la formation du premier gouvernement d'Etat, manifestation de notre fraternité et de notre solidarité complète. Dans ce gouvernement siègent et travaillent en plein accord les chefs populaires représentants des trois religions et des trois noms de notre peuple, de tous les partis politiques et de toutes les reli-

| gions du royaume. Mon gouvernement agira en

plein accord avec les représentants du peuple, envers lesquels il sera responsable de ses actes. Aussi le premier devoir du gouvernement sera-

_ til de convoquer à Belgrade la représentation

nationale composée des délégués de la Skoup‘ chtina serbe, de la Vieille-Serbie et de la Macédoine, d’un nombre proportionnel des membres des Conseils Nationaux, des représentants de l'ancien Duché serbe et du Monténégro. Cette représentation nationale quoique provisoire constituera l'expression complète du _ facteur législatif dans notre royaume. En tant que roi d'un peuple libre et démocratique, je demeurerai fidèle en tout et inébranlablement aux principes du gouvernement constitutionnel et parlementaire, qui sera Île fondement de notre Etat créé par la volonté libre de la nation. C'est dans cet esprit et guidé par ces principes que mon gouvernement gouvernera le pays et résoudra toutes les questions de politique extérieure et intérieure. Le gouvernement soumettra au Parlement un projet de loi élecorale, dont le but sera d'assurer sur la base du suffrage universel, des élections libres à l'Assemblée constituante à laquelle on soumetträ un projet de constitution démocratique conçu dans un esprit d'unité étatique et de large autonomie administrative, avec des garanies pour les libertés politiques les plus étendues et les droits civiques. Mon gouvernement aura le devoir d'assurer immédiatement à tout le territoire du royaume des Serbes, Croates et Slovènes, tous les droits et toutes les libertés dont jouissaient, d'apres la constitution du royaume de Serbie, les citoyens de Serbie. Ainsi sera reconnue et établie, l'égalité complète de tous les sujets du royaume devant la loi, seront aboli tous les privilèges de classes et seront garanties la libre pratique et l'égalité des religions. | Je désire que l’on applique immédiatement une solution juste de la question agraire ; que l'on abolisse l'institution des kmet et des grandes possessions terriennes. Dans les deux cas, la terre sera partagée éntre les pauvres paysans et une indemnité équitable allouée aux proPriétaires actuels. Que chaque Serbe, Croate et Slovène soit maître de sa terre. Dans notre libre Etat, il ne peut y avoir que de libres propriétaires de terres. C'est pourquoi j'ai invite mon gouvernement à procéder immédiatement à la nomination d'une commission qui Préparera la

royaume des Serbes, Croates et Slovènes |

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solution de la quastion agraire. Et je recommande aux paysans et aux kmets d'attendre, en se fiant à ma parole royale, que l'Etat leur remette par la voie légale la terre qui n’appartiendra dorénavant qu'à Dieu et qu'à eux-mé-

mes comme c'est le cas depuis longtemps en Serbie.

Cette guerre de quatre années a produit des perturbations considérables sous tous les rapports. Dans l'intérêt d'une liquidation plus rapide et plus favorable des difficultés du retour du pays à une situation normale, mon gouvernement donnera ses principaux soins au ravitaillement du pays, surtout des classes pauvres, à l'aide et au relèvement matériel des invalides de la guerre, à la restauration du pays pillé et au rétablissement des communications régulières sur terre et sur mer, ce qui est la première condition du développement normal de la vie nationale.

La tâche la plus urgente et la plus importante de mon gouvernement, à cette heure où l'on décide de notre destinée, c’est de veiller à ce que les frontières politiques de notre royaume correspondent aux frontières ethnographiques de notre peuple tout entier, afin qu'aucune partie du territoire de notre royaume ne tombe

sous le pouvoir étranger. Pour y réussir, il est

indispensable que notre jeune Etat rassemble

_toute-sa force morale et matérielle, il est indis-

pensable que sa vie intérieure reste forte et vigoureuse. C'est pourquoi, je fais appel à tous les bons citoyens et aux fils fidèles de notre royaume pour qu'ils aident par des actes et par. leur exemple mon gouvernement dans sa tâche consistant dans le maintien dans le pays de la paix et de l’ordre qui y ont régné jusqu'à présent. Et ce n'est pas seulement là un besoin du présent, mais encore un gage pour l'avenir de notre royaume. Nos nobles alliés et le monde entier ont constaté avec admiration les efforts héroïques, les sacrifices et l'endurance de mon armée qui a mérité la reconnaissance de la patrie. Tächons, nous, d'oublier toutes nos controverses mutuelles et de montrer par l'abandon de toutes nos dissenssions, l'exemple d'un peuple sobre et conscient, digne de vivre et de collaborer en paix avec les grands peuples civilisés dont il a eu l'honneur et la fierté d'être le camarade de guerre et l'allié loyal, d'un peuple qui suit l'exemple de patriotisme élevé et de sacrifices suprêmes dont ont fait preuve au cours de la guerre nos soldats, nos

martyrs et nos hommes d'Etat.

Moi et mon gouvernement, nous nous occuperons activement et toujours des familles des guerriers qui, couverts de lauriers éternels, sont tombés au champ d'honneur pour la réalisation de la grande idée historique et de l'idéal national. Au nom de mon auguste père et en mon j'adresse des salutations royales à tout mon peuple, à tous les Serbes, Croates et Slovènes. Que la nouvelle année leur soit favorable, cette année nouvelle qui verra notre drapeau tricolore glorieux se déployer au nom de Dieu et briller pour toujours comme le symbole de notre royaume et de la souveraineté de notre Etat, sur toutes nos terres, Sur toutes nos forêts, sur nos rivages et sur n0$ iles, d'un bout à l’autre de notre mer. Ayons tous une foi robuste dans la vie nouvelle et pleine de force de notre royaume. Que Dieu et l'esprit de nos ancêtres célèbres planent sur nous tous, qu'ils nous encouragent et nous protègent däns notre tâche laborieuse et pleine de gloire pour le bien et le bonheur de notre peuple.

Fait à notre Palais Royal, dans notre capitale Belgrade, le 24 Décembre 1918 (v. s.) :

ALEXANDRE m.p.

(Suivent Les signatures du Ministre-Président et de tous les ministres. : }

nom propre,

dr: ke discours du ministre-président Profitch

* Le 29 décémbre, le parlement du Royaule de Serbie s’est réuni à Belgrade, pour jalifier l'acte de l'union de tous les pays gerbes, croates et slovènes avec la Serbie, en un Royaume des Serbes, Croates el Slovènes. Aussitôt la séance ouverte, le président a donné la parole à M. Stoyan Protitch, président du gouvernement, qui à prononcé le discours suivant :

Messieurs les députés,

‘? Permettez-moi d'exprimer avant tout

notre grande joie qui est aussi la vôtre, de de que, après quatre années d'une vie pénible à l'étranger, quoique souvent dans les pays hospitaliers et amis, nous soyons dinsi rassemblés dans notre belle et fière

Belgrade, comme représentants nationaux,

somme parlement national de Serbie. Que de grands changements, d'ineroyables visions et d'événements angoissants et brilJants, combien de moments difficiles et pénibles et, combien, d'autre part, de moments splendides ont passé sur nos tèles et sur tout notre peuple aux trois noms ét aux trois religions, nous le savons tous it nous en sommes les témoins.

‘Lorsque, il y a plus de quatre ans, nous dûmes quitter notré fière capitale de”Belgrade, notre ennemi séculaire, l'aigle apos-

tolique noir et jaune, était en face de Bel-

grade, pétulant, puissant, et faisait résonner son sabre. Il jetait des regards avides et se délectait dans l'espoir de voir le Royaume de Serbie alors victorieux déjà et renforcé par la délivrance d'une partie de ses frères de la domination turque, lui tomber dans le giron comme une poire müre; et il voyait déjà ouverte la route de l'invasion germanique vers l'Orient : d'un côté sur Salonique, de l'autre sur Bagdad et le golfe Persique. L'ultimatum, sans précèdent dans l’histoire internationale, qu'il avait adressé au Royaume de Serbie, devait servir d'ouverture à cette campagne grandiose. Derrière lAutriche-Hongrie, à présent déjà | «ancienne », se tenait VAllemagne, armée jusqu'aux dents et prête à se ranger à ses côtés. Et derrière celles-ci apparaissent déjà alors, et peu à peu, les alliés plus tard démasqués, de l'Autriche et de l'Allemagne, la Bulgarie, la Turquie, nos anciens adversaires. Tous, nous conservons encore le souvenir vivant des déclarations des milieux offiiciels et nationaux bulgares, sans parler des Turcs, qui nous disaient ouvertement et répétaient si souvent qu'ils ne pourraient pas admeltre notre unification nationale et étatique. Avec quelle sauvagerie et quelle barbarie ils se sont efforcés d’exterminer notre peuple dans les frontières du Royaume de Serbie, nous ne le savons que trop et l'Europe n’en a connaissance qu'imparfaitement. Le cœur serré au moment décisif et quand la vie du jeune royaume et de la dynastie de tout notre peuple ne tenait qu’à un fil, la Serbie avec sa dynastie nationale en téte, releva quand même le gant jeté avec insolence, après avoir préalablement essayé d’éloigner l'orage européen par un esprit de conciliation et d’acommodement, qui nous a valu l'admiration du monde entier et de l'ennemi lui-même. Le moment était sublime et angoissant: d’un côté l’abime, la mort politique d'un peuple doux, capable et chevaleresque de 12 millions d’âmes et, de l’autre, son unification nationale et étatique ardemment désirée et entravée au cours de tant de siècles.

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. — La dernière séance de la Skoupchtina serbe —

Ce qui s'est passé depuis ce moment-là jusqu'à aujourd'hui, vous le savez tous, car nous l'avons vécu nous-mêmes. Cest nousmêmes qui avons fait et écrit de notre sang . cette histoire vivante de notre peuple aux trois noms et aux trois religions. Aujourd'hui, aprés quatre années et demie écoulées, que de changements, que de perturbations énormes dans la situalion et dans l'attitude des combattants d'alors et d'hier encore. Notre enuemi séculaire, l'aigle habsbourgeois est à terre, terrassé, ses ailes abattues et à plat ventre. Le grand empire allemand qui croyait, it y quatre ans et demi, tenir dans ses mains le sceptre de la domination mondiale, traverse aujourd'hui une crise terrible et fait des efforts pour transformer son organisme féodo-capitaliste en un organisme contemporain, européen et américain, aussi bien dans le sens social que politique. La situation désespérée de notre jeune royaume et de tout notre peuple s'est transformée en un spectacle majestueux, plein d’espérances et de belles perspectives pour l’avenir de notre peuple entier. Séparées par une muraille de Ghine, dispersées de vive force, les parties de notre peuple s'unissent aujourd'hui, par leur volonté expresse, indubiteble et clairement exprimée, EN UC vrilé nationale et étatique indivisible, en un royaume des Serbes, Croates et Slovènes. C'est pourquoi notre unité nationale et étatique, tant désirée et tant attendue, porte ses premiers fruits et acquisitions. Au moment où je vous parle, Messieurs les députés, nous avons déjà notre nouvel Etat commun et unitaire constitué ; c’est le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, dont les limites territoriales ne sont pas encore, il est vrai, fixées par un traité international, mais qui sont déja tracées par les grands principes solennellement proclamés par nos grands alltés. Notre vaillante et chevaleresque armée, qui comptait déjà dans ses rangs des soldats et des officiers de toutes les-parties de notre peuple, a fourni une base solide à ces limites par la délivrance de ces territoires. Notre fidélité chevaleresque, jusqu'à la fin et dans les moments les plus difficiles et les plus critiques de cette mélée mondiale, à nos alliés et à la cause sacrée et commune, a davantage encore affermi notre droit et notre confiance. Les frontières de notre nouveau royaume correspondront à l'étendue territoriale sans discontinuité, que notre peuple habite.

Le 4 décembre, Son Altesse Royale, le prince héritier Alexandre a proclamé l'unité nationale et étatique des Serbes, Croates et Slovènes, dans la réponse à l'adresse du Conseil National de Zagreb, qui avait, de son côté, décidé l'union des Serbes, Croates et. Slovènes avec la Serbie, pour toutes les parties de notre peuple qu'il représentait et qui a communiqué cette décision de façon solennelle, dans l'adresse du même jour, remise au représentant de la couronne. Presque en même temps, le fraternel Monténégro et notre fière Voivodie ont exprimé le même désir par des décisions spéciales, l’une du 26, l’autre du 25 novembre, Ce grand acte historique est accompli, Messieurs les députés, saus votre participation formelle, car ce mode de procédé fut dicté par la situation politique et par le développement précipité des évènements. Mais lorsque nous avons conseillé à la couronne d'accomplir cet acte le dit jour, nous fûmes convaincus que vous seriez d'accord avec nous. Nous avons connu tous vos sentiments intimes ou exprimés,