Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

124 LE PACTE DE FAMINE

Les idées de ce genre de fou sont presque toujours le reflet des idées courantes, äes recherches, des craintes, des croyances de l’époque et du pays dans lequel il vit, de la société qui l'entoure. En 1768, depuis plusieurs années déjà, les questions économiques occupaient non seulement les philosophes les plus abstraïits, mais encore les femmes du monde les plus élégantes. Alors que la question de l'alimentation était tellement en vogue, que la nation entière raisonnait et déraisonnait snr les théories de Quesnay, de Turgot, de Morelly, de Gournay, de Galiani, Le Prevôt suivit le courant et chercha, peut-être de bonne foi au début, les causes du mal et les remèdes à y apporter. Lorsqu'il crut les avoir entre les mains, il voulut le démontrer avec éclat. Cette ligue malfaisante que lui, Le Prévôt, avait découverte, les économistes ne l’avaient pas vue, et ils avaient la simplicité de chercher les combinaisons les plus savantes pour éviter les disettes! Maïs lui, Le Prévôt, qui a plus de génie que tous ces philosophes réunis, a su trouver la cause effective du mal. Sur un canevas réel, le contrat Malisset, il bâtit, avec son imagination, une série de suppositions dont il tira les conséquences. Quand il les retrouva dans ses souvenirs, de vraisemblables elles étaient devenues vraies; les suppositions s'étaient faites preuves. Le Prévôt, que son manque de talent avait classé parmi ceux qui ne parviennent pas, introduisit dans sa vision toutes les personnes ayant un mérite réel et auxquelles il ne pouvait pardonner leur situation et leur réussite. Presque toute la France devient complice du « pacte affamatoire ; » mais comme il faut quelqu'un à qui il puisse faire ses révélations, il en excepte le Parlement de sa province.

Ce qui caractérise particulièrement sa monomanie, c’est le besoin impérieux, constant; de dénoncer. S'il ne trouve personne à qui parler, personne à qui écrire, c’est au vent qu'il confie ses missives, c’est au sol de sa prison. Ce sont les personnages en place qui sont toujours les coupables. Depuis son incarcération, ces personnages ont êté remplacés à plusieurs reprises, Le Prévôt continue ses dénonciations, et du fond de son cachot il découvre toujours les complots secrets les plus nouveaux. Ce n’est pas le duc de la Vrillière, Sartine, Malisset, qui sont les coupables, c’est le Ministre, le Lieutenant de police, le Directeur des moulins de Corbeil; que ce ministresoitAmelot, Malesherbes, Breteuil ou Necker’; que lelieu-

1... « Le tartuffe Necker n'est-il pas accusé lui-même par le sieur Ruilidge,