Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

PORC

PRÉMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IX 75

quent il n’y a ni espoir ni possibilité de notre part de tirer aucun avantage du prix de nos farines. D'un autre côté, à quoi nous servirait-il de faire aucun accaparement, puisque la première loi de notre engagement est de rétablir l'abondance de la halle en ouvrant nos greniers au moindre signe de disette?... »

Il n’y avait rien à répondre à des raisonnements de cette vigueur et de cette netieté mathématique.

Aussi les frêres Leleu ne furent-ils pas attaqués par les consommateurs, qui forment la grande majorité de la population, mais par les boulangers dont ils entravaient les spéculations, par les marchands de grains ou les producteurs qui voulaient tirer des blès un trop grand bénéfice‘. Ces différentes classes de personnes ont intérêt à provoquer une disette factice qui, en jetant l'alarme et l’effroi chez les consommateurs, fait monter le prix de la denrée. Par leur situation même ils formaient une corporation invisible qui travaillait sourdement au renchérissement des farines. Voilà quels étaient les véritables auteurs de la disette, et l'Ancien Régime les traquait sans merci. En leur qualité d’exploiteurs du peuple, ils étaient les alliés naturels des révolutionnaires qui les soutinrent de leurs calomnies. Ce sont eux qui triomphèrent en 1789 et qui parvinrent à tromper l'histoire en rejetant la responsabilité sur leurs ennemis.

Dans leur défense, les frères Leleu apportent un dernier argument qui nous semble devoir clore le débat : leur maintien en fonctions depuis Turgot jusqu'à Necker et la confiance dont ils reçurent de nombreuses preuves ?. « Il n’y a pas à dire que nous devons ce témoi-

4. Ils s'étaient évidemment attiré la haine des boulangers, des meunierset des cultivateurs des environs de Corbeil, car nous voyons demander dans les cahiers de cette paroisse : « La suppression des magasins connus sous la dénomination de magasins du Roi. Les habitans des campagnes et des villes croyant avoir acquis la triste expérience des désordres et des maux que les compagnies ont causés par leurs spéculations intéressées et leurs fausses prévoyances. » (Extrait du cahier des demandes et instructions du Tiers Etat de la Prévôté et vicomté de Paris hors les murs. In-80, p. 86. — Corbeil.)

2. En présence des accusations calomnieuses dont les frères Leleu étaient les victimes, Necker leur écrivit le 26 septembre 1789 la lettre suivante :

« J'ai vu, Messieurs, avec une véritable peine que vous avez été exposés à des inquiétudes et à des chagrins dont vos services et votre conduite auraient dû vous garantir, et s’il convenait au Comité des subsistances de Paris de vous conserver la direction des établissements où vous avez donné des preuves de votre zèle, je crois que vous ne pourriez lui refuser vos soins. Soyez persuadés qu’en toute occasion vous me trouverez disposé à vous rendre la justice qui vous est due et à vous