Le règne de la vertu : la dictature de Robespierre

LE RÈGNE DE LA VERTU. 871

pas immuable dans ses attitudes, mais il l’est, au fond, dans l'idée maîtresse de sa vie. Il y croit sincèrement, et sa force est dans sa sincérité. Il n’est pas l’ « hypocrite raffiné » que Bossuet a flétri en Olivier Cromwell. Se tenant pour l'homme de la Liberté, de la République, de la Révolution, il estime en toute candeur que quiconque lui fait obstacle est l'ennemi de la Révolution, de la République et de la Liberté. Or lui fait obstacle quiconque excite sa « bilieuse jalousie : » qui a plus de talent et de succès, plus d’audace et plus d’entregent, lui porte nécessairement ombrage. Sa jalousie inquiète multiplie ses ennemis : ce sont ceux de la Patrie. Celui qui n’est pas avec lui est contre elle.

Le prophète proclame des dogmes. Tout d’abord, /a Terreur soutenant la Vertu et la Vertu justifiant la Terreur. Le 25 décembre, le dogme fondamental a été proclamé par le pontife infaillible. « Le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la Vertu; en révolution, il est à la fois la Vertu el la Terreur. » Certes, il n’a inventé ni le système ni le mot. Dès le 5 septembre, « Les sections de Paris » sont venues demander qu’on « plaçât la Terreur à l’ordre du jour » et, depuis l’été de 1793, Fouquier-Tinville expédie à Sanson « gros et petit gibier. » Ce n’est cependant que du jour où la doctrine a été proclamée par l’Incorruptible sainte, pure et indiscutable, que « l’activité du tribunal » a redoublé. Alors commencent les belles fournées de l’hiver de l’an II qui deviendront .« magnifiques » une fois les Zndulgens supprimés en germinal (155 victimes en germinal, 354 en floréal), et formidables, quand la loi de Prairial, qu’on peut appeler la loi Couthon-Robespierre, permettra à l'accusateur public d'envoyer, en quarante-sept jours, 1366 « cliens » au « rasoir national. »

Il serait injuste de faire de cet homme le bouc émissaire de la Terreur. Des proconsuls qu'il n'aimait pas, Carrier, Lequinio, Tallien, Barras, Fréron, Fouché, Collot d'Herbois, Javogue, Le Bon, Schneider, faisaient à Nantes, Lorient, Bordeaux, Toulon, Marseille, Lyon, Arras, Strasbourg, tomber des têtes avant que Paris connût « les belles fournées d’aristocrates. » Mais s’il parut un jour les blàmer, c’est moins d’avoir terrorisé, que d’avoir terrorisé « sans vertu. »