Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

LA TERREUR 241

Cette place devient l'arène sanglante où, comme dans les cirques antiques, gloire, talent, génie, jeunesse, beauté, sont livrés en pâture à la férocité de la bête populaire.

C’est d'abord Louis XVI, escorté de l'abbé Edgeworth, descendant de son fiacre vert, les yeux injectés de sang, la face congestionnée.

Vainement l'infortuné monarque, avant d’abandonner sa tête royale à la guillotine, s'efforce d'adresser au peuple ses protestations, étouffées aussitôt, sous les roulements de tambour commandés par le brasseur Santerre, pendant que, pâle et tremblant, dans un coin de l’échafaud, le pauvre abbé Edgeworth ne songe guère à prononcer ces paroles : « Fils de Saint-Louis, montez au ciel! » qu’une légende complaisante et apocryphe, inventée après coup, comme tant d’autres, a placées dans sa bouche.

Plus tard, voici cette archiduchesse d’Autriche, saluée à son arrivée en France avec enthousiasme, par tout un peuple épris de sa jeune et gracieuse beauté (1), la prisonnière du Temple et de la Conciergerie, Marie-Antoinette, vêtue de blanc, qui descend de la charrette des suppliciés, monte l’escalier rouge de l’échafaud, et, sous le coup d’une violente émotion, tombe évanouie dans les bras du bourreau.

Ce jeune homme, le plus grand orateur, après Mirabeau, de l’Assemblée Constituante, qui, du pied, frappe l’échafaud, au moment d’être saisi par le monstre dévorant, et s’écrie : « Voilà donc le prix de ce que j'ai fait pour la liberté de mon pays ! » c’est Barnave.

Cette femme, au regard calme, impassible, résolu,

(1) Marie-Antoinette avait alors quatorze ans et six mois, étant née le 2 novembre 1755. On sait le mot célèbre du duc de Brissac, montrant à la jeune princesse la foule qui l’acclamait : « Vous avez là, Madame, cent mille amoureuæ. »

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