Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

PÉRIODE THERMIDORIENNE. — DIRECTOIRE 219

sionnées, lui reprochant de n’avoir pas fait tout ce qu'il pouvait pour sauver son frère. Ainsi, se trouvant un soir, accompagné de Dubois-Crancé, au théâtre des Arts, il fut assailli par les moqueries de jeunes muscadins, l’interpellant avec ces paroles de l’Écri ture : « Caïn, Caïn, qu'as-tu fait de ton frère? »

Ce fait se trouve relaté dans un rapport de police, du 7 septembre 1795 (1).

Bientôt la calomnie ne connut plus de bornes, et dressa contre lui un véritable acte d’accusation de fratricide, au mépris des efforts suprêmes qu'il avait multipliés pour sauver la tête de son frère. On invoquait même sa tragédie de Timoléon, où se trouvait exalté le faux héroïsme d’un frère immolant son frère à la liberté de son pays.

Enfin Morellet osa lancer contre lui cette sanglante apostrophe : «Sultan Chénier, auriez-vous rapporté de Constantinople les mœurs des Ottomans, qui croient ne pouvoir régner qu’en étranglant leurs frères ? »

C’est alors, que, dans son Discours sur la Calomnie, Chénier, douloureusement affecté par cette campagne diffamatoire dirigée contre lui, fit cette riposte indignée et touchante qu’on ne saurait lire sans émotion :

Hélas! pour arracher la victime aux supplices,

De mes pleurs chaque jour fatiguant vos complices, J’ai courbé devant eux mon front humilié;

Mais ils vous ressemblaient, ils étaient sans pitié... Auprès d'André Chénier avant que de descendre, J’élèverai la tombe où manquera sa cendre,

Mais où vivront du moins et son doux souvenir,

Et sa gloire et ses vers dictés pour l'avenir.

(1) Archives nationales.