Les états généraux en France
894 LES ÉTATS GÉNÉRAUX EN FRANCE.
propriété y fut toujours inséparable du rang. Il en résulta, d’une part, que ses priviléges, tout politiques, ne blessèrent pas, comme chez nous, le sentiment de légalité; de l’autre, qu’elle ne présenfa jamais ce contraste choquant entre les prétentions nobiliaires et le moyen de les soutenir par l'éclat extérieur, qui contribua tant à discréditer la noblesse dans nos provinces. Tel fut le sort de l’aristocratie dans les deux pays. Ici isolée, elle se renferme dans ses priviléges et finit par se voir dépasser en puissance par la royauté, en lumières par le tiers état. Là, cent cinquante ans après son éfablissemenf, la féodalité se brise en deux parts, dont l’une devient la haute noblesse, l’autre.le corps des communes du pays!. »
De la sorte, la nation anglaise réussit à établir dans son propre sein cette union des classes qui fait les peuples libres parce qu’elle crée Ja seule force capable de résister aux empiétements qui, venus d’en haut ou d’en bas, donnent naissance aux pouvoirs absolus. Servir la force ou la surprise est le lot el la punition des sociétés où l'esprit de secte emporte sur l'esprit d'union; où toute dissidence devient molif à abdication si elle ne dégénère en dispute; où, d’ailleurs, l'émiettement des résistances fait le jeu des usurpateurs et rend faciles les coups d'État, qu'ils partent du trône ou bien de la rue.
Au contraire, il n’y a pas, il ne saurait y avoir de pouvoir improvisé et absolu dans un pays où toutes les forces nationales, mises en présence et en action, s’utilisent au profit commun, se limitent et se pondèrent. Pour cela, ïl faut des groupes ; poussé à ses dernières limites, l'individualisme est mortel. Assurément, la prétention qu’eurent les Français du dernier siècle de supprimer entre eux les distinctions qui ne reposaient que sur la naissance était fondée. Mais celle qu'ont certains Français de nos jours d’abolir toutes les influences collectives et de faire que, réfugiées seulement dans l'individu, celles-ci se disputent perpétuellement, celte prétention-là n’est pas, comme on le croit, démocratique; elle est folle et contre nature. L’égoisme individuel n’a jamais rien fondé; le nombre, à lui tout seul, ne peut rien que détruire; il se détruira lui-même, et ce qui se passe autour de nous démontre qu'il est en train de le faire.
En se plaçant à ce point de vue ou bien à d’autres, on a souvent discuté la question de savoir si l’électorat est un droit, un droit absolu, afférent à tous, ou bien une fonction réservée seulement à
même ; de ce-jourlà fut semé le germe de presque. tous les! vices et de presque tous les abus qui ont travaille l’ancien régime pendant tout le reste de sa vie et ont fini par causer violemment sa mort. » (L'Ancien régime et la Révolution.)
1 M. Rathery, Histoire des États Généraux, page 463.