Les états généraux en France

860 LES ÉTATS GÉNÉRAUX EN FRANCE.

appréciations au mérite du style, dans cette étude lumineuse, savante et complète *. » ©

Un tel jugement, porté par une telle autorité, dit assez quel est le mérite du livre de M. Picot. Imprimé en 1872, celui-ci était composé tout entier avant la fin de 1868 : la date qui figure au bas de la dernière page et le rapport de l'Académie sont là pour lui donner date certaine. Sans cela, on pourrait s’y tromper et croire que cette Histoire des États Généraux est écrite d'hier, qu’elle est postérieure à la chute du second Empire. Bien que l’auteur nous fasse voir, dans chacun de ses chapitres, qu'il est un écrivain trop sérieux pour, en composant un livre d'histoire, se permettre de mêler aux leçons de celle-ci des allusions à la politique contemporaine, la fermeté de son esprit, la rectitude de son jugement, et aussi la connaissance profonde du sujet qu’il traite et où tout s’enchaine, font que telle ou telle de ses appréciations de la veille se trouve confirmée par les événements du lendemain et paraît formulée après coup. M. Picot est historien; mais il semble que, sans le vouloir, il ait été prophète, notamment dans celles de ses pages, où, écrites qu’elles furent sur la fin de l'Empire, il nous retrace les mécomptes séculaires de la liberté. Chez nous, le sort de la liberté est variable : au fond, elle ne change pasd’ennemis. Il suffit d’un accident, d’un coup de surprise ; en 1850, d’une barricade ; en 1848, d'un banquet ; en1851, d’une conspiration de gens à bout deressources; en 1870, d’une guerre folle, pour, en vingt-quatre heures et sans faire relâche, remplacer l'affiche. L’intitulé de la pièce, c’est-à-dire le nom du gouvernement, n’est plus le même, non plus que celui des acteurs. Hier, cela s'appelait l'Empire; aujourd’hui, cela s’appelle autrement : la République, ou le provisoire, ou le pacte de Bordeaux, comme on voudra : cela a failli s'appeler la Commune. Tout le cartonnage de la scène a fait place à un décor nouveau, et l'on aperçoit bien, aux premicres loges, des figures encore surprises de se trouver là. En fait, qu'y a-t-il de changé? Le public du parterre, celui qui, à notre époque, fait la loi, n’est-il pas resté le même, avec ses préjugés, ses passions, ses rancunes, pour tout dire, avec sa sottise? En république ou bien en monarchie, la masse continue à ignorer à quelles

1 L'Académie a décerné le second prix au mémoire de M. Desjardins, alors avocat général à Aix, aujourd'hui procureur général à Douai. Bien que l'ouvrage de M. Desjardins soit moins complet que celui de M. Picot, ce mémoire a, lui aussi, une valeur incontestable. « Il marche bien, dit l’'éminent rapporteur; il est écrit d’un style vif, coulant, agréable, et, s’il offre des connaissances étendues et des appréciations historiques ordinairement exactes, il n’est dépourvu ni de vues générales fermes, ni de considérations politiques élevées. » (Compte rendu de l'Académie des sciences morales et politiques. — Séance du 19 février 1870.)