Les serviteurs de la démocratie

ARMAND CARREL - 183

dans ses habitudes. Ce démocrate avait des allures chevaleresques; il était de ceux qui, en combattant les idées, saluent l'adversaire, La cause du duel qui amena la mort d'Armand Carrel est connue de tout le monde. Le rédacteur en chef du National prit parti dans la polémique suscitée par la création de la presse à bon marché contre le fondateur de cette presse, M. Émile de Girardin. Carrel aurait voulu que le journalisme républicain restât étranger à toute combinaison mercantile et financière, ne demandant son succès et sa puissance qu'à la vérité de ses idées et à l'attraction de ses doctrines. La presse, livrée aux annonces el aux réclames industrielles, lui paraissait une presse abaissée et dégénérée. Que cette théorie fût vraie ou fausse (elle est noble en tous cas), ceux qui la soutinrent avec Carrel eurent le tort de l’appuyer sur des caloinnies contre la personne de M. de Girardin. Celuici, voulant en finir d'un seul coup et par un coup d'éclat, choisit dans la foule de ses adversaires le plus éminent et vint droit à Armand Carrel. On se batlit au pistolet au bois de Vincennes. Les deux adversaires furent blessés l’un à la cuisseet l’autre à l'aîné; tous deux tombèrent sur le terrain. Lorsqu'on releva Armand Carrel, son premier mot fut pour son adversaire : « Souffrez-vous beaucoup? lui demanda-t-il en passant devant lui. — Je désire, Monsieur, que vous ne souffriez pas plus que moi, répondit M. Émile de Girardin.» Carrel eut alors un-triste sourire. Il ne se faisait aucune illusion sur la gravité de sa blessure. EL au moment où on l’emportait il ajouta : « Vous m'aviez menacé avant le combat, Monsieur de Girardin, de faire ma biographie; je vous prie de la publier. Vous n’y trouverez rien qui ne soit honnêteet respectable, — C’est vrai! » répliqua son adversaire désolé: