Lettres sur la révolution française : par J. Gorani, citoyen français, à son ami Ch. Pougens

96 RÉVOLUTION

L'hérédité de la nobieffe, eft une difpenfe de mériter cette diftindion; & quoi de pius abfurde, de plus injufle, de plus anti - focial , que de difpenfer une claffe d'hommes d'acquérir du mérite? N'eft-ce pas vouer cette clafle à l’ignorance, à l’orgueit, à tous Les vices ? Eft-il tolérable que les honneurs, les dignités & les premiers emplois du gouvernement, qui exigent ces talens & des vertus, foient exclufvement réfervés aux hommes les plus ienorans, les plus corrompus ? N’eft-ce pas éteindre l’émulation dans les autres claffes de la fociété? n’eft-ce pas vouer cette claffe privilégiée à la jaloufie, à la haïne des autres clafles qu’elle méprife, qu’elle opprime & qu’elle ruine ?

Quelle inconféquence de méprifer, d’exclure de la fociété les boutreaux qui font métier de tuer les criminels, d’après les ordres de la juftice, & de refpeëer, de donner le premier rang, dans la fociété, à des hommes qui follicitent l'emploi de maflacrer, au feul ordre d’un defpote, des milliers d’innocens, de ravager les récoltes , d’incendier les: villes , les campagnes , de violer, d’égorger les filles , les femmes, les enfans & les vieillards; de faire, en un mot, le métier de la guerre, qui eft exaétement Ia réunion dé tous les crimes. La profeflion militaire, neft honnorable que dans les républiques démocratiques , où tous les citoyens font foldats, & lorfqu’ils emploient leurs armes à la défenfe de leur liberté & autres droits naturels.

Montefquieu, gentilhomme gafcon, a dit: Point de monarchie fans nobleffe, elle ef? le foutien du trône ; & les nobles fe font fair une arme de cette affertion, pour défendre leurs prérogatives : ils ayoient raifon;

car,