Mémoire sur la Bastille

LINGUET 47

donc pour le reste de ma vie dévoué à subir, dans , quelque temps que ce fût, l'atteinte de ce poignard; et, dans la dernière vieillesse, lorsque, rassasié de calamités, épuisé de travaux, je serois venu demander à ma patrie, pour prix de tant d'efforts, de sacrifices, la permission d’y mourir en paix, je n’aurois trouvé de porte pour y rentrer que la Bastille, ni d’autre tombeau que ses cachots.

D'après ces réflexions, quel nom donner, grand Dieu! à la lettre de cachet du 16 avril 1780? Comment qualifier cet empressement à la fabriquer et cette patience à attendre le moment d’en faire usage ?

Maintenant, qu'on songe qu’une détention ainsi motivée, ainsi préparée, ainsi consommée, a duré près de deux ans; qu’elle a porté à mes affaires et à ma santé un préjudice presque également irréparable; que si ma ruine absolue au civil et mon anéantissement entier au physique n’en ont pas été le fruit, j’en suis redevable à une faveur particulière de la Providence, qui, me prédestinant apparemment au ministère que je remplis en ce moment, c’est-à-dire à publier les horreurs de la Bastille, m'a doué d’une organisation expresse pour les supporter.

Si c’étoit à M. le maréchal de Duras qu’on eût cru devoir une satisfaction aussi complète, on ne pourroit s'empêcher de répéter ce qu’a dit à cette