Mémoire sur la Bastille

LINGUET 53

quels on auroit voulu la lier. Il est donc clair que ce prince n’a point souillé sa carrière philosophique en poursuivant avec un pareil acharnement un écrivain qui, à la vérité, n’a point recherché ses faveurs, mais à qui certainement il n’a pas pu refuser son estime.

Le détail des traitemens que j'ai essuyés, la longueur même de ma détention, sont encore au= tant de preuves qu’il n’y a eu aucune part. S’il en avoit été le véritable auteur, la perte de la liberté ne lui auroit-elle pas paru une réparation suffisante? Auroit-il exigé des ministres de Versailles ces raffinemens de vengeance dont je parlerai tout à l'heure; ou ceux-ci l’auroient-ils méconnu, outragé, au point de croire s’en faire un mérite auprès de lui? Loin de se prêter à prolonger ma détresse, sa générosité ne l’auroit-elle pas pressé de suivre l’exemple de la cour de Vienne envers La Beaumelle? Infiniment moins fondé à se plaindre, auroit-il été plus implacable? Auroit-il prescrit à la Bastille, envers un François, des rigueurs qu’un de ses sujets, vraiment criminel, n’auroit pas eu à craindre à Spandau ?

Il est bien étonnant que le nom de deux aussi grands princes se trouve ainsi mêlé dans les infortunes d’un simple particulier, de celui peut-être de tous les hommes qui ont cultivé la littérature à qui sa simplicité personnelle, son éloignement