Mémoire sur la Bastille

54 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

pour toute espèce d'éclat, son horreur pour toute espèce d’intrigues, son indifférence pour la fortune et tous les objets de l’ambition, auroient peut-être dû le plus épargner les dangers attachés à l’honneur d’être connu des souverains ; mais enfin il est au moins aussi évident que ni l’un ni l’autre de ceux dont je parle ici n’a pu y contribuer. Ma détention n’a pas plus eu pour cause, dans son principe ou dans sa durée, de prétendues réquisitions parties de Berlin que de prétendus renseignemens envoyés à Vienne.

Mais quel a donc été l’objet, le motif de cette durée? Pour celui-là on ne me l’a pas caché : c’est la seule confidence que l’on m’ait jamais faite à la Bastille; c’est la seule réponse dont on ait jamais honoré mes supplications.

Au bout de quinze jours on m’a dit franchement qu’il ne s’agissoit pas de M. de Duras. « Et de quoi s’agit-il donc? — Oh! ils craignent que vous ne cherchiez à vous venger; on vous ouvriroit les portes tout à l’heure, s’ils étoient sûrs que vous n’éclatassiez pas contre eux. » Car, en me parlant des dieux de ce Tartare, c’est-à-dire des ministres, on ne se servoit jamais avec moi que de ce mot collectif ils. Voilà ce qu’on n’a cessé de me dire pendant vingt mois, et ce que le public savoit bien avant que je le lui apprisse.

Qu’on se mette à ma place, et qu’on apprécie