Mémoire sur la Bastille

56 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

ordre ; et ici, où il s’agissoit de ma personne, on la dévouoit froidement à un esclavage sans terme, en considération du ressentiment que je ne manquerois pas d’avoir un jour!

Ainsi toujours paisible dans le fait, et redoutable en idée; toujours irrépréhensible au présent, et coupable au futur, c’est de l’avenir qu’on me punit! Mes ennemis n’ont jamais pu excuser leurs iniquités que par une prescience plus inique encore. Ils ont toujours donné pour motif de leurs injustices actuelles mon ressentiment infaillible contre leurs injustices passées. Jamais on n’a voulu essayer si ce n’étoient pas ces prophéties dictées par une timidité stupide ou une haine adroite qui manquoient de fondement!

Sans doute c’en étoit bien ici l’occasion : l’âme pure et sensible du roi s’étoit émue au souvenir de ma détresse. Quand l'intrigue s’agitoit pour éblouir sa droiture, et la calomnie pour l’égarer, elle avoit veillé, parlé pour moi; il avoit senti que la punition des fautes, quelles qu’elles fussent, dont il me croyoit alors coupable, ne devoit pas être éternelle. Un pressentiment secret de mon innocence lui avoit peut-être, même avant ceci, déjà rendu suspect l’acharnement de ses conseillers ; malgré leurs efforts, il a prononcé le Surge et ambula tout-puissant qui a mis fin à mes infortunes.

N'étoit-ce pas là le moment, si la raison du