Mémoire sur la Bastille

79 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

Dans les vues de l’instituteur primitif du régime de la Bastille, cette effroyable politique avoit un objet : c'étoit de se défaire sans bruit et sans éclat des hommes pour l'assassinat de qui le bourreau lui auroit refusé son ministère; quand il avoit proscrit un innocent, — car on ne proscrit que ceux-là, les coupables on les juge, — quand il avoit proscrit un innocent, il vouloit qu’on ignorât l'époque de sa mort, afin de ne la fixer qu’au moment précis qui convenoit à ses intérêts ou à sa vengeance.

Mais Louis XVI n’est pas Louis XI : l’un est aussi humain que l’autre étoit barbare ; l’un respecte autant la justice et les lois, il en recommande aussi soigneusement l'observation, que l’autre se plaisoit à les faire violer et à donner l'exemple de l'infraction. Comment donc conservet-on, sous l'humanité de Louis XVI, le régime inventé par la tyrannie de Louis XI? Comment, sous le prince à qui l’équité est chère et le sang des hommes précieux, les sujets sont-ils exposés aux mêmes catastrophes que sous celui pour qui les exécutions étoient un spectacle délicieux, qui appeloit le bourreau son compère, et ne marchoit jamais que sous l’escorte d’un satellite, son compère aussi, mais plus féroce, plus sanguinaire, que tous les bourreaux ensemble ?

Encore si c’étoit la gravité des délits ou l’espèce des personnes qui déterminassent cet étrange