Mémoire sur la Bastille

92 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

On ne peut empêcher ses ongles de croître, ni ses cheveux de pousser; mais il ne lui est pas permis de se débarrasser de ces progrès incommodes sans en acheter la faculté par une humiliation : il faut qu’il prie qu’on lui prête des ciseaux; le porteclefs doit rester présent tant qu’il en fait usage, et les remporter sur-le-champ.

Quant à la barbe, le chirurgien de la maison est chargé de la raser : c’est un office dont il s’acquitte deux fois par semaine ; lui et le porte-clefs, agent ou surintendant général de tout ce qui se passe dans les tours, veillent soigneusement à ce que la main du captif n’approche pas de l’étui où sont renfermés les formidables instrumens : on ne les développe, comme la hache du bourreau qui décapite, qu’au moment de s’en servir. On se souvient encore à la Bastille du fracas qu'y occasionna la témérité de M. de Lally, quoique dans un temps où il ne prévoyoit guère sa destinée : il s’empara un jour d’un rasoir; il'refusa, en riant, de le rendre; cela n’annonçoit pas des desseins bien furieux : le tocsin n’en sonna pas moins dans tout le château. La garde étoit déjà mandée, vingt baïonnettes marchoient, on préparoit peut-être déjà les canons, quand heureusement la révolte finit par la réintégration du terrible outil dans son étui.

C’est une dérision que de prétendre, comme on