Mémoire sur la Bastille

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du calme et de la paix : tous ces spéculateurs étrangers ignorent ce qui se passe, ce qui est renfermé sous ces voûtes impénétrables dont ils admirent les dehors. Tel d’entre eux foule aux pieds le sépulcre de son ami, de son parent, de son père, qui le croit à deux cents lieues de lui, bien tranquille, occupé de ses affaires ou livré à ses plaisirs.

Mais enfin tous ceux à qui l’on permet cette inspection extérieure, voyant un jardin assez vaste, des plates-formes très élevées, où par conséquent l'air est pur et la vue pittoresque, et entendant assurer que tout cela est, dans les jours ordinaires, à l’usage des prisonniers, sortent persuadés que, si la vie n’est pas douce à la Bastille, ces adoucissemens peuvent cependant la rendre supportable. Cela pouvoit être autrefois : voici ce qui est arrivé depuis peu.

Le gouverneur actuel, nommé de Launey, est un homme ingénieux qui tire parti de tout : il a réfléchi que le jardin pouvoit être pour lui un objet d'économie intéressant ; il l’a loué à un jardinier, qui en vend les légumes et les fruits et lui en paye une somme fixe par an ; mais, pour n'être pas gêné dans son marché, il a cru qu’il falloit en exclure les prisonniers : en conséquence, il est venu une lettre signée Amelot qui défend le jardin aux prisonniers.

Quant aux plates-formes des tours, quoiqu’à l'élévation où elles sont il soit à peu près impos-