Mémoire sur la Bastille

LINGUET 109

sible d’y être reconnu ou de reconnoître, cependant, comme elles donnent sur la rue Saint-Antoine, dont on n’a pas encore chassé le public, on ne permettoit ci-devant aux prisonniers de s’y promener que sous l’escorte d’un des geôliers de la maison, soit porte-clefs, soit officier : ils ont trouvé dans ces derniers temps, c’est-à-dire depuis environ trois ans, que ces corvées les génoient; d’ailleurs, il en résultoit des conversations avec le factionnaire : la vigilance de M. de Launey en a pris l’alarme; en partie par condescendance pour la paresse de ses collègues, en partie par égard pour ses soupçons, il est venu une lettre signée Amelot qui interdit ces plates-formes comme le jardin.

Reste donc pour la promenade la cour du château : c’est un carré long de seize toises sur dix. Les murailles qui la ferment ont plus de cent pieds de haut, sans aucune fenêtre; de sorte que, dans la réalité, c’est un large puits, où le froid est insupportable l'hiver, parce que la bise s’y engouffre; l'été, le chaud ne l’est pas moins, parce que Pair n’y circulant pas, le soleil en fait un vrai four. C’est là le lycée unique où ceux des prisonniers à qui l’on en accorde la faculté (car tous ne Pont pas) peuvent, chacun à leur tour, se dégorger pendant quelques momens de la journée de l’air infect de leur habitation.

Mais il ne faut pas croire que l’art de martyriser,

14