Mémoire sur la Bastille

LINGUET 109

tomac qu’elle n’avoit pas causée, mais qu’elle entretenoit, jai passé les mois de juillet et d’août entiers sans sortir de ma chambre : le prétexte étoit un travail qui se faisoit sur les plates-formes. Ces ouvriers auroient pu y monter par dehors, et ils y montoient; on n’avoit besoin de faire traverser la cour qu’aux pierres qu’il falloit leur fournir : cette opération auroit pu se faire, comme autrefois, tous les jours, le matin avant neuf heures; M. de Launey avoit trouvé que cela seroit gênant; il lui paroissoit plus court de dire : « Point de promenade »; et il n’y a pas eu de promenade.

Pour apprécier cette privation, il faut songer qu’elle vient à la suite de toutes celles par lesquelles il est possible de bourreler des hommes, sans exception ; il faut songer que par là non seulement on expose un prisonnier à des périls physiques, on nécessite l’altération de la santé, mais que le mouvement du corps étant sa seule ressource pour endormir un peu les convulsions de son âme, en la lui ôtant on rend celles-ci plus poignantes ; que, quand il n’a pas une minute dans la journée pour changer au moins d'angoisse, son cœur, toujours grossi par les soupirs, semble heurter plus douloureusement les murs qui le pressent de toutes parts.

Aussi, dans les prisons de la justice ordinaire, cette rigueur est regardée comme la plus fâcheuse