Mémoire sur la Bastille

112 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

lui-même, s’étendent jusqu'aux mercenaires qu’il emploie : autrefois, comme je l’ai observé, les officiers de l’état-major jouissoient du droit de voir chacun, seuls, et quand ils le jugeoient à propos, les prisonniers confiés à leur vigilance commune. Étant réputés tous également fidèles, leurs visites particulières n’inspiroient ni soupçons, ni alarmes; et, comme ils sont quatre, il s’en trouvoit de temps en temps quelqu'un moins impitoyable qui consacroit quelques momens de sa journée à des conversations toujours précieuses pour ceux qui les partageoient.

Cette condescendance a déplu au ministère présent : il est venu une lettre toujours signée Amelot, qui a défendu aux officiers d’entrer jamais seuls dans les tours; il faut qu'ils y aillent au moins deux, non compris le porte-clefs ; les visites du médecin sont sujettes à la même formalité : il n’est plus permis à ces dogues de marcher qu’accouplés.

Ce régime monacal a produit l’elfet qu’on en attendoit, c’est-à-dire la cessation absolue de ces visites. Dans une meute de cette espèce, deux âmes également compatissantes sont difficiles à trouver. D’ailleurs il faudroit se concerter, se tenir prêts pour la même minute; de plus ils ne s’aiment pas entre eux; ils sont jaloux les uns des autres ; ils se défient les uns des autres; flétris, même à leurs propres yeux, par leur abominable métier, ils