Mémoire sur la Bastille

114 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

le rapprochement de ces deux mots, la charité et la Bastille; quoiqu’on puisse soupçonner, par le sang-froid de la dernière phrase, que le lieutenant de police d’Argenson, en parlant ainsi, tenoit le langage d’un lieutenant de police, c’est-àdire d’un homme voué par état à ces barbaries, et obligé de donner raison à ceux que leur profession rend ses complices nécessaires, rien n’empêche cependant de supposer qu'il y avoit dans ses assertions quelque chose de vrai; mais, en ce cas, tout est bien changé : ce ne seroit qu’une preuve de plus de la dépravation introduite depuis peu dans ces lieux, où, dès le commencement, on auroit pu la croire à son comble.

D'abord, pour les incommodités passagères ou les attaques subites qui se guérissent avec du soin et des secours prompts, il ne faut plus en avoir, ou il faut y succomber, si elles sont sérieuses : il n’y a point de secours à attendre, du moins dans la nuit. Chaque chambre est fermée de deux portes épaisses, ferrées par dehors et par dedans, et chaque tour en a une plus épaisse, mieux renforcée encore. Les porte-clefs couchent dans une pièce éloignée, absolument isolée; il n’y a point de voix qui püût pénétrer jusqu’à eux.

On a la ressource de frapper à la porte; mais une apoplexie, un coup de sang, en laisseroientils la force? Il est douteux même qu’en frappant