Mémoire sur la Bastille

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aller éveiller le chirurgien, il faut éveiller le frèrechapeau, qui doit compléter l’escorte; il faut que tous ces gens-là s’habillent. Au bout de deux heures, la troupe se rend à grand bruit chez le malade.

On le trouve ou baigné dans son sang, s’il en yomit, et sans connoissance, comme il m'est arrivé; ou suffoqué par son apoplexie, comme cela est arrivé à d’autres. J’ignore quel parti l’on prend quand il est mort sans ressources : s’il lui reste un peu de respiration, ou s'il en reprend, on lui tâte le pouls, on lui dit d’avoir patience, qu’on écrira le lendemain au médecin, et on lui souhaite le bonsoir.

Or, ce médecin, sans l’aveu duquel le chirurgien apothicaire de la maison n’oseroit pas donner une pilule, demeure aux Tuileries, c’est-à-dire à trois milles de la Bastille. Il a des pratiques, il a une charge chez le roi, une autre chez Monsieur. Il est souvent à Versailles pour son service : il faut l’attendre. Il vient enfin; mais il est payé à l’année, et payé également pour ne rien faire, comme pour agir; quelque honnête qu’il soit, il doit être porté naturellement à trouver la maladie légère, afin que les visites soient moins exigibles.On est d’autant

1. Le frère-chapeau, ou mieux, d’après Littré, le frèreau-chapeau, est le suivant d’un moine plus élevé en dignité,