Mémoire sur la Bastille

PRÉFACE XXIII

Mais, tout compte fait, les supplices et les mystères de la Bastille consistaient principalement dans le secret, dans l'incertitude du terme de la délivrance, dans la vie silencieuse, cellulaire, et forcément inactive. Cette retraite, qu’une tête bonne et solide savait. embellir de ses méditations et remplir de son travail, était insupportable pour les turbulents, les intrigants, les beaux parleurs. Les défauts ordinaires de l'esprit français s’y trouvaient donc fort mal à l’aise.

Les gens de lettres, Linguet en tête, ont souvent démoli la Bastille dans leurs écrits. Mais en général, et sauf ce même Linguet, ils ne l’ont pas noircie. Quelques-uns y ont noblement travaillé, comme Lemaistre de Sacy, qui y traduisit LA Bigce, et Voltaire, qui y commença LA HENRIADE. D’autres ny ont fait, pensé et écrit que des soliises, comme Constantin de Renneville et l'abbé Bucquoy. La Beaumelle ne s’y est pas corrigé de sa manie de contrefaçons historiques et littéraires : il s’est amusé à ÿ mystifier, à défaut du public, un mystificateur de première force, Latude', L'abbé Morellet considère la Bastille, avec une vérilable tendresse, comme le berceau de sa ré= puiation. Marmontel, qui n’y «a demeuré que onze jours il est vrai, lui a conservé au fond de son cœur

1. Latude ayant réussi à établir une correspondance écrite avec son codétenu, celui-ci lui écrivit en se faisant passer pour une femme et le rendit bel et bien amoureux.