Mémoire sur la Bastille
XXII PRÉFACE
haut des tours n'étaient destinés qu'aux prisonniers violents, dangereux, intraitables, et aux fugitifs qui s'étaient laissé reprendre. Mais les chambres étaient habitables, et souvent le détenu pouvait compléter à ses frais leur mobilier trop sommaire. Quant à la nourriture, l'on n’était au pain et à l’eau que dans les cachots, et encore pas toujours. Dans les chambres, on servait trois repas, et, si la périodicité du menu affectait douloureusement certaines imaginations, les meis étaient nombreux et abondants, le vin potable. On peut même affirmer, d’après certaines descriptions, que le régime de la Bastille était trop succulent pour la vie sédentaire et confinée à laquelle on y était astreint. Gardons-nous simplement de rien généraliser. L'égalité n’était pas plus connue à la Bastille que devant les tribunaux ou sur l’échafaud lui-même : le sort des détenus dépendait beaucoup de leur position sociale, d’après laquelle était réglé le tarif de leur pension. La nature et la gravité des charges engendraient d’autres différences. Le gouverneur avait une grande latitude d'action. Rien ne pouvait l'empêcher de donner cours à sa prédilection ou à son aversion. Que sa vigilance fût mise en défaut par une évasion, par des communications de chambre à chambre ou avec le dehors, les précautions et les rigueurs redoublaient. Tout le monde, à la Bastille, a un peu payé pour Latude. Un gouverneur pouvait aussi être porté à la cruaulé ou à l’avarice.