Mémoire sur la Bastille

LINGUET 15

rêté en plein jour, avec un opprobre réfléchi et combiné (8), plongé dans des cachots destinés uniquement, en apparence, aux ennemis du roi, de la religion ou de l’État, et livré dans ma personne, dans mon honneur, dans ma fortune, à tout ce que des geôliers barbares, des calomniateurs sans frein, des suppôts avides et des agens infidèles, peuvent se permettre d’indignités.

Après vingt mois passés sans aucune sorte d’adoucissement ni d'explication, ma captivité a paru finir le 19 mai 1782, et elle n’a fait réellement que changer de forme. Le lieutenant général de police de Paris, venu en grand appareil pour m'annoncer que je n’étois plus prisonnier, m'a notifié que j'étois exilé. Il m'a remis un ordre qui me reléguoit dans un petit bourg à quarante lieues

avec l’âge. Certes, on ne peut lui reprocher de s’être gardé avec soin contre les surprises de la police, dont il pouvait être tout aussi bien la victime à Bruxelles qu’à Paris; mais c’est bien à tort qu’il s’en prit au négociant Lequesne, son banquier et son représentant bénévole, à Paris, pour la vente et distribution des Annales. Lequesne n’eut jamais d’autre intention que d’amortir les coups auxquels Linguet ne cessait pas de s’exposer. C’est un point que M. Henry Martin 2 mis hors de doute dans sa consciencieuse Étude sur Linguet. Le public tenait pour Lequesne et se montra indigné des insinuations de Linguet, de la brutale révocation qu'il infligea à son associé, des injustes procès qu’il engagea contre lui, sans arriver à démontrer autre chose que son propre aveuglement, ses propres dettes, en un mot son ingratitude .