Mémoire sur la Bastille

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à chercher une autre retraite. Quoique effrayé de la dévastation de ma maison, quoique indigné des bassesses, des infidélités sans nombre commises par les agens ministériels, qui avoient couru y traiter mes effets comme on traitoit ma personne à Paris, je me bornois à regretter mes pertes, à rassembler mes débris. Je ne voulois chercher que des distractions.

Je méditois un voyage de plusieurs années : après avoir porté mon hommage aux pieds d’un prince qui donne à tous les princes de si nobles leçons par son exemple, et qui rend au trône des Césars un éclat qu'aucun trône n’a eu depuis longtemps', mon dessein étoit de passer en Italie et d'aller tâcher d'oublier, dans l’étude des monumens des siècles passés, ce que j'ai souffert dans celui-ci.

Ce moyen indirect de me conformer encore aux vues du ministère de France ne m’a pas été laissé. Des amis fidèles m'ont averti qu’il ne me pardonnoit pas de ne m'être point piqué d’une obéissance parfaitement littérale; et que, par les embüches dressées sur la route, le chemin de

1. Joseph Il, fils de François I" de Lorraine et de MarieThérèse d'Autriche, empereur d’Allemagne depuis 1780. Ce prince avait hardiment tenté la réforme des abus ecclésiastiques et féodaux dans ses États, afin d’en préparer l'unification,