Mémoire sur la Bastille

38 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

pas eu. Quelle qu’elle fût, quand même elle auroit été publiée avec autant de scandale que ma détention en a produit, ce n’étoit pas un crime d’État. Quelle qu’elle fût, assurément elle n’auroit pas justifié vingt mois de Bastille et une continuité de traitemens des plus atroces dont cette enceinte infernale ait jamais été le théâtre.

On sera curieux, je le sens bien, de connoître cette pièce, aussi fatale que mystérieuse; et si je n'étois sensible qu’au désir de la vengeance je la publierois. Mais je respecte encore ici même les intentions du roi : dès que ma lettre a pu lui déplaire, je l’abandonne; j’en fais le sacrifice au jugement qu'il en a porté, sans attacher d’autre prix à ce dernier hommage que la satisfaction de lavoir rendu (18).

Mais il en existe une autre dans les bureaux ministériels de France qui a peut-être plus contribué encore que la précédente à mon infortune : celle-là, on s’est bien gardé de la remettre sous Les yeux du roi; et, en effet, elle m’auroit garanti de tout, si elle avoit pu y paroître. On ne me l’a jamais rappelée; mais, comme je ne doute pas qu’elle n’ait influé beaucoup plus que l’autre sur la résolution du ministre, comme il est évident qu’en se servant de la première pour aigrir l’esprit du roi on a eu la discrétion de lui cacher la seconde, qui n'avoit pu aigrir et alarmer que ses ministres, je