Mémoires du général Baron Roch Godart (1792-1815)

214 MÉMOIRES DU GÉNÉRAL GODART

des forces pour sortir se promenaient dans les rues de Dresde comme des squelettes ambulants, pour demander l’aumône aux habitants. On doit rendre à ces derniers le bon témoignage qu'ils s’empressaient d'offrir des secours à nos soldats. Beaucoup de militaires, tombés malades sur la fin, n'étaient plus reçus dans les hôpitaux, et allaient mourir dans les corridors et sur les places; d’autres, qu’on voulait évacuer par l’Elbe sur Torgau, mouraient dans les bateaux ou furent noyés en voyage par les Cosaques. Enfin les hôpitaux étaient devenus un séjour d’épidémie. Plusieurs sous-officiers, de désespoir, se coupèrent la gorge; nos officiers y mouraient, pour ainsi dire, comme les autres. Je ne crois point exagérer en disant qu'il est mort dans ces hôpitaux ou dans les rues plus de 12,000 malades.

Plus de 2,000 chevaux sont également morts à Dresde. Les fourrages y manquaient depuis le commencement, et tous les domestiques avaient été obligés d'aller jusqu’à trois et quatre lieues dans les campagnes pour y fourrager. Plusieurs d’entre eux furent pris ou tués par les Cosaques. Le blocus resserré, il n’y eut plus moyen de fourrager, et ceux qui n'étaient point un peu approvisionnés perdaient leurs chevaux.

La grande quantité d'hommes morts à Dresde par les

1 Ces détails sont à rapprocher des évaluations optimistes de M. Thiers. Il pense qu'il y avait 30,000 soldats environ, le T octobre, quoique la fièvre d'hôpital sévit déjà. Il pense que lorsqu'on tint conseil, le 21 octobre, on pouvait mettre sous les armes 25,000 hommes valides qui auraient pu méme se retrouver 30,000 ! On a compté en effet 29,473 hommes, plus 6,031 dans les hôpitaux. Mais ces hôpitaux, on le voit par Godart, le baron d’Adeleben (dans sa Campagne de Saxe), etc., n'étaient pas des refuges pour la paresse et la sensualité, et il s'en fallait que tous ceux qui n’y entraient pas fussent valides. Il mourait, à la fin d'octobre, 200 soldats par jour. Le colonel de Fésenzac n'avait que 100 hommes par bataillon, et ne croit qu'à 17,000 hommes disponibles.