Musique exécutée aux fêtes nationales de la Révolution française : chant, choeurs et orchestre

REPRISE DE TOULON, 1793. 63

Invalides, ex l'on chanta un hymne, avant de partir pour le champ de Mars, désigné comme centre de la fête. Là, on entendit des symphonies militaires, le chœur à la liberté!, l’air dit de Chateauvieux? et un hymne spécialement écrit pour la circonstance par M. J. Chénier, mis en musique par Catel, quoi qu’en disent le rapport de David, les programmes et comptes rendus du temps, qui en attribuent tous, par erreur, la composition à Gossec 3.

La musique de cet hymne n'existe, à notre connaissance, que dans le recueil déjà cité, Livre des Epoques de la Révolution; c'est dire que sa publication fut faite quelques années après sa première et peut-être unique audition, car nous n'avons trouvé trace d'aucune autre. Il n’est même pas à supposer qu'il ait été réentendu avec d’autres paroles, en raison de sa coupe irrégulière et tout-à-fait exceptionnelle dans l’œuvre de Chénier, que l’on ne retrouve pas dans les poésies parues postérieurement. C’est un des rares morceaux écrits pour trois voix seules ; il semble que l’auteur, élève de Gossec, se soit inspiré, au moins dans la forme, de l'O Salutaris en trio sans accompagnement, de son maître, qui devint, sous la plume de Caron, un Hymne à la Liberté (O déité de ma patrie), ainsi que nous l’avons déjà signalé#, et fut même exécuté fréquemment par trois cors, tant il eut la vogue.

Nous donnons ci-après (p. 73), ce morceau qui ne manque pas de caractère et contient quelques habiletés harmoniques. Le futur auteur du premier Traité d'harmonie qui ait fait loi pendant longtemps dans l’enseignement du Conservatoire, à cause de sa conception claire et plus rationnelle que celle du système de Rameau, a triomphé de la difficulté d'écrire pour trois voix, et son chœur, malgré ces moyens restreints est bien sonore, encore qu’il y ait quelques croisements. Nous avons transcrit les deux parlies hautes à la manière moderne, une octave au-dessus de la note réelle. Deux des sept strophes de Chénier (indiquées par un astérisque), publiées au moment de la fête dans les programmes et journauxÿ ne furent pas maintenues dans le recueil Les Epoques paru en l'an VIT, nous l'avons déjà dit, dans lequel nous avons puisé la musique.

La prise de Toulon inspira d’autres poètes, mais plus populaire, leur œuvre n’eut pas les honneurs de la cérémonie officielle. Citons l'hymne de Trouvé sur l’air Dieu du peuple et des rois de Gossec : « Enfin, ils sont chassés loin de la ville impie6 » les couplets chantés au théatre Favart le 10 nivôse : « O ville infâme, 6 ville impie 7 », sur l’air Allons enfants de la Patrie; ceux de la citoyenne Thilliol de Clermont : « Liberté chère, ton aurore.. » sur l’air On l’a planté dans cette enceintes: la chanson du citoyen Salles : « Quels sons guerriers se font entendre » sur l’air Allons enfants de la Patrie®; le couplet impromptu « Quand les soldats de l'Angleterre » sur l'air (à n'se peut pas; les couplets de Perrin, directeur des postes à Verdun : € En chorus comme à l'Opéra » sur l'air © filii 10 et les stances de Laharpe : « Ils ont payé leur perfidie » également sur l’air des Marseillais, chantées au théâtre de la République !1. É

Les dépenses furent relativement considérables. Une somme de 15.000 livres avait été mise à la disposition du citoyen Hubert, inspecteur général des bâtiments de la République, pour l'exécution de la fête. Elle fut insuffisante et il dut réclamer un supplément de 14,830 L. 19, qui fut accordé sur l'avis de David, par arrêté du Comité de salut publie du 6 floréal IT (25 avril 17094).

Après les glorieux exploits que l’on venait de célébrer, l’hiver vint faire trêve aux hostilités. Les coalisés qui, malgré nos divers succès, occupaient encore les places de Valenciennes, du Quesnoy et de Condé, n'avaient pas perdu l’espoir de marcher sur Paris au printemps. Leur plan fut déjoué par l’habileté et la prévoyance de Carnot. L'action combinée des armées du Nord, de la Moselle et des Ardennes, commença la déroute des Allemands et Autrichiens dans les champs de Fleurus (26 juin 1794).

! Ce chœur qui commence par ces mots : « Premier bien des mortels », existe à la Bibliothèque du Conservatoire sous le titre de Chant à la liberté, en parties séparées manuscrites d'orchestre et de chant, Il est écrit pour 2 dessus, haute-contre, taille et basse, avec accompagnement de flûtes, clarinettes en w{, bassons, cors en w{ et en fa, 3 trombones, serpent et timbales. La publication du chœur en l'honneur de la liberté à été mise en doute. S'il est vrai que ce morceau n'a pas eu les honneurs de l'édition dans sa forme initiale, il a paru cependant (avec quelques variantes et une modification dans sa composition instrumentale), dans la partition Le triomphe de la République ou le Camp de Grand-Pré (p.133), divertissement représenté pour la première fois le dimanche 27 janvier 1793, sur la scène de l'Opéra. Ce chœur a été composé pour la fête dite de Chateauvieux, le 45 avril 1799, et « exécuté au champ de la fédération » ainsi qu'il appert de l'édition Quillau mentionnée à la note suivante, qui donne la poésie sans la musique.

* Get air a pour véritable titre : Ronde nationale; il débute ainsi : « L'innocence est de retour ». Une édition pour voix seule (avec musique typographiée), faite à l'imprimerie Quillau, à Paris, l'an 4 de la liberté, porte cette mention, après le titre : « Chantée à la fête de la liberté donnée par les citoyens de Paris, le dimanche 15 avril 1792 ». Comme le chœur précédent, la Ronde nationale existe en parties manuscrites au Conservatoire: les éléments sont identiques. On la trouve pour une voix avec accompagnement de 2 clarinettes, 2 cors et2 bassons dans les Epoques.

* Ce qui a certainement contribué à propager cette erreur, c’est que Gossec avait écrit jusqu'alors presque tous les morceaux nécessaires aux fêtes publiques, mission pour laquelle il se trouvait tout désigné par ses fonctions de capitaine directeur de la musique de là garde nationale. Cette lois il se déchargea cependant sur Catel, son lieutenant, du soin de mettre en musique les vers de Chénier. Non seulement le nom de Catel figure sur la musique de l'hymne, mais on ne connait aucun morceau de Gossec sur la même poésie.

‘ Les Anniversaires du 21 janvier dans l'Art musical du 8 février 1894.

> Rapport de David précité p. 6: Annales patriotiques p. 1644: Gasette française, p. 1154; Journal de Paris P. 1#15: Moniteur, p. 402; Le Mercure, t. NIL, p. 35; Annonces, avis divers, p. 5538.

‘ Le Moniteur no 99. — 7 Affiches du 22 nivôse. — $ Æistoire chantée de la première République, recueil de chants par L. Damade, Paris 1889, p. 314. Au point de vue de l'ordonnance et de l'exactitude, ce volume est délectueux, mais il offre des facilités à qui n’a pas le loisir de se reporter aux originaux. Nous l'avons analysé et avons relevé certaines erreurs dans le Monde musical, n° du 30 septembre 4892, p. 165. —*? Affiches du 13 nivôse. + 1 Annales patriofiques du 44 niv. (p. 4655) et du 29 (p. 1718). — # Mercure, t. VII, n° du 45 niv.