Napoléon Bonaparte, drame en six actes et en vingt-trois tableaux
4 LE MAGASIN THÉATRAL,
peintres pour nous commander ?..... — [ls ont beau dire, c’est là qu'est Toulon.
LORRAIN, à un paysan qui cherche à se glisser sans être aperçu. Qui vive? qui vive ?.…
LE PAYSAN, avec un accent provencal trèsprononcé. Qu'est-ce qu'il faut que je réponde ?
LORRAIN. Eh bien... répond : Citoyen paysan, pardi!
LE PAYSAN. Citoyen paysan.
LORRAIN, C’est bon... Et puis, maintenant, retourne d’où tu viens... on ne passe pas.
LE PAYSAN, suns accent. On ne passe pas ? ;
BONAPARTE , tressaillant au changement de voix. Si! — par ici l’on passe.
LE PAYSAN , entrant en scène. Merci, mon officier.
BONAPARTE. Ecoute donc.
LE PAYSAN, à part. Que me veut-il ?.
BONAPARTE. Tu es de ce pays?
LE PAYSAN. Je suis d’Ollioules,.
BONAPARTE. Ah!... Et par quel hasard te trouves-tu de ce côté?
LE PAYSAN. Ü’est ces gueusards d’Anglais qui m'ont requis de force à Toulon, où j'étais, pour tavailler aux fortifications du fort Malbousquet.
BONAPARTE. Et ils t'ont renvoyé?
LE PAYSAN. Non; je me suis sauvé.
BONAPARTE. Pourquoi ?
LE PAYSAN. Îl y avait trop d'ouvrage et pas assez d'argent.
BONAPARTE. Et tu vas?...
LE PAYSAN. À Marseille.
BONAPARTE lui Zend la main. Bon voyage!
LE PAYSAN lui donne la main. Merci, citoyen.
BONAPARTE, l’arrétant. À quels travaux t’'employait-on ?
LE PAYSAN. À la tranchée.
BONAPARTE. Et tu mettais des gants pour travailler?
LE PAYSAN, à part. Demonio! ( Haut.) Pourquoi !.…
BONAPARTE, Oui, si tu n'avais pas pris cette précaution , il me semble que le soleil et la fatigue t’auraient hâlé et durci les mains... Vois, moi, qui me pique d’avoir la main blanche et belle... — Un paysan... qui à travaillé... Combien de jours ?
LE PAYSAN. Quinze.
BONAPARTE. Quinze jours aux fortifications... l’a aussi blanche et aussi belle que la mienne... Quel fat j'étais! (4 un de ceux qui sont près de. lui.) 1t is the spy!
LE PAYSAN; effrayé., Moi!
BONAPARTE, Tu sais l’anplâis? |
LE PAYSAN, à part. Imbécille !
BONAPARTE. Ah ! ce n’est pas étonnant. tu es resté quinze jours avec Les-habits rouges, et tu as eu le tems d'apprendre leur langue.
LE PAYSAN. J'en ai retenu quelques mots. |
BONAPARTE. Assez pour lire ladresse d’une lettre que l’on t’aura chargé de porter, n'est-ce pas?
LE PAySAN. Moi? et à qui?
BONAPARTE. Et que‘sais-je?.... à quelque ci-devant, sans doute, pour lui annoncer que Louis XVII a été proclamé à Toulon.
LE pAySAN. Diable d'homme !.... Ah !.. si tu crois cela, tü n’as qu'à me fouilier.
BONAPARTE. Non... il suffira que tu me remettes ce que tu as dans cette poche.
LE PAYSAN, érant de sa poche et donnant à mesure. Voilà un briquet... un couteau espagnol... .
BONAPARTE. Oui, qui peut au besoin servir de poignard. 6
LE PAYSAN. Et un portefeuille qui n’est pas élégant; mais nous autres, nous ne sommes pas des muscadins..….… Regarde dans les poches si tu veux; va, citoyen commandant , je n’ai pas de secrets, moi!
BONAPARTE , examinant le purt-feuille. Et moi je ne suis pas curieux... (S’arrétant à une feuille plus blanche que les autres.) Tu avais craint de manquer de papier, que tu as fait ajouter cette feuille ?
LE PAYSAN. Cette feuille ?
BONAPARTE. Oui... Tu vois bien qu’elle n’est ni du même grain, ni de la même couleur. — Prète-moi ce couteau.
LE PAYSAN. Ma foi, je n’y ai pas fait attention; tout ce que je sais, c’est que c’est du papier blanc. Si tu veux écrire dessus...
_ BONAPARTE. C’est mon intention; mais auparavant , il est humide, il faudrait le sécher. |
LE PAYSAN , roublé. Au feu ?
BONAPARTE. Oui : en prenant garde de le brûler, cependant! — Canonnier, une mèche !
LE PAYSAN. Giel et terre !
(Il regarde autour de lui, voit que la sentinelle seule l'empêche de fuir. Il tire un pistolet de sa poche, s’élance sur la sentinelle, tire le coup et blesse au bras Lorrain qui le saisit : aussitôt une lutte s'engage.)
BONAPARTE , hautement. Arrêtez lespion des Anglais et des émigrés! (On se préci= pite sur lui ; Lorrain , qui ne l’a pas lâché,