Orateurs et tribuns 1789-1794

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vos motifs, vous ne pouvez pas être différent des autres; l'intérêt personnel est toujours là. Tenez, voyez Masséna; il a acquis assez de gloire et d’honneurs ; il n’est pas content; il veut être prince, comme Murat et Bernadotte; il se fera tuer demain pour être prince : c’est le mobile des Français; la nation est essentiellement ambitieuse et conquérante. »

Dans la première audience qu'il obtint de Bonaparte après le 18 Brumaire, celui-ci, après beaucoup de questions sur son passé, lui parla de la difficulté de rapprocher les opinions, sans écouter aucune prévention, sans céder à aucune exigence. « On n’opère, dit-il, une révolution qu'avec les éléments qu'on trouve rassemblés au moment où on l’entreprend. Si je donnais trop d’élan, trop d'influence à vos constitutionnels de 4791, à ceux que vous appelez exclusivement le parti des gens de bien, je ne tarderais pas à produire une réaction embarrassante; j'ai bientôt appris, en m'asseyant ici (dans le fauteuil de Louis XVI), qu'il faut se garder de vouloir tout le bien qu'on pourrait faire; l'opinion me dépasserait, le cheval amaigri bondirait bientôt dans la bonne pâture, et deviendrait indomptable. » Le premier consul se souvenait sans doute du conseil de Richelieu, et ne voulait pas que le peuple devenu trop gras se mit à ruer : et d’ailleurs, d'instinct, les grands dompteurs des nations trouvent en eux-mêmes les formules autoritaires, et, comme par une hérédité mystique, se transmettent les