Orateurs et tribuns 1789-1794

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dénuée en général de flamme, de coloris. C’est une belle lumière qui brille à peu de frais, qui éclaire sans échauffer. Il n'y a pas de divinité en lui, disait Mirabeau, qui ailleurs le compare à un jeune arbre qui croit pour devenir un jour mât de vaisseau. À tout prendre, l'orateur préféré de l’Assemblée et le meilleur après, bien après Mirabeau*, se prodiguant à la tribune où il parle sans notes, interprète fécond de Duport et Lameth, d’une maturité précoce, fier et impatient de l'injustice, bardi parfois jusqu'à limprudence, mais captivant la sympathie de ses collègues par la sincérité de son âme.

En général, remarque Montlosier, il n'avait, ni comme Maury, ni comme Cazalès, encore moins comme Mirabeau, la faculté d’entreprendre et de traiter un grand sujet ex abrupto; il ne savait rien d'avance. Sa manière était de laisser discourir d’abord les orateurs, de se pénétrer de leurs pensées et, après y avoir fait un

1. Un jour même il combat avec succès certain projet de Mirabeau accueilli avec enthousiasme, et Etienne Dumont remarque avec peine la faiblesse de la réplique de son ami : « Ce fut une de ces occasions où je regrettai que Mirabeau, qui saisissait lout superfciellement et n’approfondissait rien, eût si peu le talent du débat parlementaire ; il ne sut répondre à Barnave, il ne connaissait rien sur la question au delà de son discours, et il ne la possédait pas même assez pour en reproduire les arguments sous les formes de la réplique. » Mirabeau esquiva la difficulté par un mot. Comme Barnave le plaisantait sur ce que son projet n’était applicable que dans dix ans : « Le préopinant, riposte-t-il, paraît oublier que, si les rhéteurs parlent pour vingt-quatre heures, les législateurs parlent pour tous les temps. »