Orateurs et tribuns 1789-1794

L'ESPRIT DES ORATEURS DE LA CONSTITUANTE. 61

choix qui était toujours habile, il proposait comme à lui une opinion qui n'était le plus souvent qu'un résumé ou un amalgame. Dans une seule occasion, celle de la déchéance après le retour de Varennes, il a eu une opinion tout entière à lui et émanant de lui; son discours fut sublime. Cazalès disait souvent qu'il le regardait comme le premier talent de l’Assemblée, mais il y avait sans doute en cela de la générosité d’ennemi ; Barnave, d’un coup de pistolet, lui avait mis en pièces quelques os du crâne. Après cela on est à tout jamais ami ou ennemi.

Barnave est le chef-d'œuvre de sa mère, femme d’un rare mérite, qui de bonne heure lui inculqua les mœurs austères de la vieille bourgeoisie et lui donna, avec le goût de la politique, l'exemple de la fermeté. Un jour, elle le conduit au spectacle à l’âge de neuf ans, et elle occupait une loge que le due de Clermont-Tonnerre, gouverneur peu aimé du Dauphiné, réservait à l’un de ses favoris. Le directeur, l’officier de garde la prient de se retirer, elle refuse; on Jui envoie quatre fusiliers, elle s’obstine et ne cède qu’à la demande de M. Barnave qui, prévenu de l’affront fait à sa femme, accourt et l’emmène en disant à haute voix: « Je sors sur l’ordre du gouverneur. » Le public, la bourgeoisie l’accompagnent en triomphe, et ressentent l'injure au point de prendre, de tenir l'engagement de ne pas retourner au spectacle jusqu’au jour où, sur la prière des autorités, elle y reparut. Près de monter à

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