Orateurs et tribuns 1789-1794

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vieilli depuis quelques mois. Je lui répondis qu'en effet je le croyais maintenant arrivé à la maturité de l’âge dont il lui restait la vigueur, qu’il était temps d’en faire un bon usage et qu'il en avait les moyens. Nous entrâmes aussitôt en matière. Voici ce qu'il me dit : sauf une douzaine de députés tels que Pétion, Rewbell, Buzot, Robespierre’, Dubois-Crancé, tous les constitutionnels ont le même désir que moi de terminer la Révolution et de rétablir l'autorité royale sur les plus larges

1. Robespierre, disait-il à Lacretelle, cache son ambition et son pouvoir futur sous l'ennui qu’il nous inspire; mais ilne dit pas un mot qui ne forme un peuple sanguinaire, tout prêt à lui remettre la hache. Je n'aurais jamais pu me lier avec Barnaye, même quand il n'aurait pas été dans la faction Lameth, ennemie de Mirabeau; il avait un amour-propre irritable, un air jaloux et colère, une présomption révoltante, mais beaucoup de talent pour la discussion, quand il se fut un peu exercé, car dans les commencements il était prolixe jusqu'à l'ennui. Les seuls argumentateurs de l’Assemblée nationale qui eussent quelque portion de ce talent de réfuter étaient Maury, Clermont-Tonnerre, Barnave et Thouret. Barnave surtout était armé de logique ou de dialectique, et suivait pied à pied les raisonnements de ses antagonistes; mais il n'avait point d’imagination, de coloris ni proprement d'éloquence. Comme on faisait un jour le parallèle de ses talents didactiques et des talents oratoires de Mirabeau, quelqu'un dit: « Comment pouvez-vous nous comparer cet espalier artificiel à un arbre en plein vent qui se déploie dans toute sa beauté naturelle. » Il est sûr que ces deux hommes n'étaient pas de la même trempe, mais Mirabeau sentait bien son côté faible, et un jour qu'il avait parlé dans ce genre de réfutation avec un peu de succès, il nous disait : « Je vois que pour improviser sur une question, il faut commencer par la bien savoir. » (Souvenirs de Dumont).