Orateurs et tribuns 1789-1794

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et paraître séparés profondément d'avec lui. — En effet, Malouet parla dans le sens convenu, mais la gauche protesta si vivement que Chapelier oublia sa promesse et fit retirer la parole à Malouet. Au surplus la fuite de Varennes, en surexcitant les passions populaires, révélait au parti républicain sa force, portait le coup le plus terrible aux modérés, et ne laissait en présence que l’extrême droite et l’extrême gauche. Les orateurs parlementaires, les hommes politiques allaient devenir moins persuasifs que les Démosthènes à un écu par tête, que les Catilinas de la borne et du ruisseau, On croyait n'avoir dit qu'au revoir à la monarchie constitutionnelle, on lui avait dit un long adieu.

Lorsque l’Assemblée nationale, interdisant à ses membres la réélection, eut coupé le pont entre elle et ses successeurs, Barnave comprend qu’on à manqué le port, et qu'il faut faire double traversée‘. « Ce n’est plus le voyage d'Amérique, dit-il, c’est celui de l’Inde. » Et résumant son examen de conscience politique :

4. « Combien Barnave ne frémissait-il pas d’être désarmé de la parole quand les nouveaux attentats en faisaient présager de plus terribles! Je ne connais pas, disait-il, un plus horrible tourment que celui de combattre pour l’ordre d’une manière abstraite, sans point de ralliement, sans étendard, sans chef et sans armée, contre le gré de ceux qui sont chargés de le protéger, presque en dépit même de ceux qu'on veut sauver : telle est notre situation. Ce qu'il y a de pis, c'est que nous nous la sommes faile par une magnanimité imbécile. 11 faut donc l'accepter, quelque horrible qu’elle soit, elle est préférable au remords et à la honte. » (Lacretelle),