Orateurs et tribuns 1789-1794

72 ORATEURS ET TRIBUNS.

sa comparution devant le tribunal révolutionnaire, son ami Baillot parvint à pénétrer dans sa prison, le trouva pâle, abattu, et comme il s’étonnait : « Hélas! dit le prisonnier, ils veulent m'empêcher de me défendre, ils veulent m’enlever l'honneur de ma mort; on me prive de nourriture et je succombe à la faim. » Baillot indigné court chercher et rapporte des aliments, Barnave les dévore et tendant la main à son ami : « Quel service vous m'avez rendu! A présent du moins je puis mourir comme je le dois. »

Il mourut, en effet, comme il le devait, étonnant le public et les jurés, lançant comme un soufflet à ses bourreaux sa dernière harangue ‘, modèle d’argumen-

4. Barnave, devant le tribunal révolutionnaire, affirma n'avoir jämais eu de correspondance avec le Château. Mais tel tribunal, telle déposition. Voici d'ailleurs comment Sainte-Beuve interpréta cette réponse, d’après le témoignage de M. de Jaucourt.

« Barnave ne vit jamais la reine. C'est Duport qui la voyait au nom de Barnave; mais l'intermédiaire habituel était le chevalier de Jarjayes dont la femme était de la maison de la reine. Quand la reine voulait faire à Barnave une communication quelconque, elle mettait un écrit cacheté dans la poche de Jarjayes, et celui-ci le transmettait à Barnave, lequel après en avoir pris connaissance, le replaçait recacheté dans la poche du messager, de façon que la reine püt le reprendre et le détruire. Le même procédé servait aux avis que Barnave voulait donner à la princesse; même passage par ladite poche et même retour aux mains de Barnave. La poche de Jarjayes était comme un bureau où chacun déposait sa réflexion, son impression personnelle, son monologue, sans avoir l'air de se douter qu'un autre que soi en püût prendre connaissance. » Point n'est besoin à mon sens, d'une telle explication pour justifier Bar-