Portalis : sa vie, et ses oeuvres

EN EXIL 147 gée, et, si le criminel le subit, il ne le crée pas plus qu'il n’arme le bras du bourreau.

D'où vient donc le remords? Il ne peut venir des objets physiques, incapables par essence de produire des idées morales; il ne naît pas de la crainte ou du regret de l’insuccès, car le criminel le ressent au sein du succès et de la sécurité. Naît-il de l'habitude? Non, çar on le rencontre dans le cœur de l’enfant, au moment même où germe l'intelligence, et avant toute éducation morale. Le remords ne peut donc procéder que d’une idée indépendante de l’homme, supérieure à l’homme, immuable, éternelle, inévitable et irrésistible. Cette idée est celle du Bien et du Juste. Vertu austère, justice rigoureuse, l'esprit humain” conçoit l’une et l’autre, alors même qu'il les outrage; il en subit l’empire au milieu de sa révolte.

Mais par quelle merveille cette idée de justice et de vérité, imprimée dans notre âme, est-elle une source de jouissances infinies pour l’homme de bien, en même temps que le plus cruel tourment pour le criminel? Elle agit comme un miroir placé au fond de notre cœur : lesuns s’y voient revêtus d’une éternelle beauté, les autres s’inspirent à eux-mêmes le dégoût et l’effroi ; mais tous s’y voient, alors même qu’ils ne s’y regardent pas et qu’ils ne voudraient pas s’y voir. Cette distribution de la peine et de la récompense dans le sanctuaire de notre âme serait-elle l’œuvre d’une idée, c’est-à-dire d’une abstraction? Non. Une abstraction ne vit pas, et, dès lors, ne juge pas. Pour expliquer les effets si différents d’une même idée, il faut admettre